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Euthanasie : « La Belgique ne doit pas être la solution pour les Français » - Le Point

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Communiqué
29 septembre 2018
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Derrière son sourire bienveillant, Jacqueline Herremans peine à cacher sa colère. La présidente de l'Association belge pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) exprime son ras-le-bol face à ce qu'elle considère comme l'incurie du gouvernement français vis-à-vis de l'euthanasie. Une passivité dont cette juriste, tout comme le corps médical belge, affirme payer les frais. En Belgique, l'euthanasie est autorisée sous conditions depuis 2002. L'association de Jacqueline Herremans conseille et oriente les demandeurs vers des consultations de fin de vie ou des services hospitaliers spécialisés pour les pathologies dont ils sont affectés. Jamais vers des médecins, pour des raisons déontologiques. Sur son bureau, les dossiers de demande de patients étrangers se multiplient. Beaucoup ne remplissent pas les conditions nécessaires pour l'obtenir. Et de plus en plus souvent, ce sont des demandes françaises.

Le Point : Combien de Français demandent aujourd'hui l'euthanasie en Belgique ?

Jacqueline Herremans : Beaucoup ! Plus des trois quarts des demandes que l'on reçoit dans notre association provenant de l'étranger sont françaises. En 2017, sur un total de 464 demandes, 354 venaient de France. Et ce n'est qu'une petite partie de l'ensemble. Certains s'adressent directement à des médecins qu'ils connaissent via le bouche-à-oreille. Il arrive aussi que des médecins traitants français nous envoient leurs patients en désespoir de cause. Depuis l'euthanasie médiatisée de l'écrivaine française Anne Bert en Belgique, les demandes explosent. Les gens se disent : « Pourquoi pas moi ? »

Pourquoi est-ce un problème ?

Nous sommes épuisés. Je reçois des appels de médecins me disant qu'ils n'en peuvent plus. Certains se posent des questions sur la gestion à long terme du phénomène. L'hôpital universitaire bruxellois Brugmann a même décidé de ne plus suivre les patients étrangers. L'infirmière en soins palliatifs qui réceptionne les appels pour les rendez-vous de consultation de fin de vie était littéralement à bout de nerfs, à force d'entendre tout et n'importe quoi. Car les demandes françaises sont plus farfelues et plus extrêmes que les demandes belges.

C'est-à-dire ?

Certains pensent pouvoir obtenir l'euthanasie sans raison médicale et évoquent une fatigue de vivre. D'autres anticipent le futur, ils se disent qu'ils ne présentent pas de maladie grave, mais qu'en cas d'accident ils pourront plus facilement faire appel à un médecin belge. Et votre ministre de la Santé, Agnès Buzyn, ne nous aide pas en prétendant qu'il est possible d'obtenir l'euthanasie en la réclamant par trois fois en Belgique, même sans présenter de maladie...

Ce n'est donc pas le cas ?

Non ! Je ne sais pas d'où viennent ses sources, mais ce n'est corroboré ni par la loi ni par la pratique ! Il faut savoir qu'il y a des conditions claires à remplir. La demande du patient doit être volontaire, bien réfléchie et sans pression extérieure. Il doit faire état d'une souffrance d'ordre physique ou psychique. Une souffrance inapaisable causée par une affection médicale, grave et incurable. Deux tiers des demandes d'euthanasie sont formulées par des patients cancéreux, souvent en phase terminale. D'autres patients sont atteints de la maladie de Charcot ou de la sclérose en plaques. Beaucoup de demandes d'étrangers ont trait à des troubles psychiques. Et ça, ce sont typiquement les demandes que l'on refuse, parce que cela demande de bien connaître le patient, de vérifier si tous les traitements reconnus ont été tentés. Ces demandes ne peuvent recevoir une réponse positive qu'après une procédure d'un an, voire plus. Le patient doit donc obligatoirement résider en Belgique.

Il y a beaucoup de refus ?

Je ne peux pas vous répondre avec précision. Ce qui est certain, c'est que ce n'est pas de gaieté de cœur que nos médecins accueillent ces demandes. Je le rappelle : ce ne sont pas des professionnels de l'euthanasie, mais des professionnels de santé. La Belgique ne doit pas être la solution. Chaque demande exige du temps, un suivi. Il faut commencer une relation thérapeutique avec un patient qu'ils ne connaissent pas. Et la charge émotionnelle est lourde. Moi-même, j'ai suivi quelques cas, dont celui d'une patiente française qui venait de Provence, Rinélya. Elle avait 37 ans et était atteinte de sclérose en plaques. C'était une fille pleine de vie. [Jacqueline Herremans sort un Polaroid]. Quand la photo a été prise, on se trouvait dans un restaurant pour répondre à l'une de ses dernières volontés. Elle a été hospitalisée une première fois toute une semaine en Belgique. Quand elle a décidé du jour de l'euthanasie, toute sa famille l'a accompagnée pour son dernier voyage à Bruxelles. Elle voulait visiter la Grand-Place. Je me suis transformée en guide. Aujourd'hui, je suis toujours en contact avec sa mère. Être en face d'un patient qui vous dit : « Je veux mourir les yeux ouverts », c'est quelque chose. Et nous nous retrouvons devant ce dilemme : protéger à tout prix notre loi… et nos médecins, ou accueillir ces demandes par humanité.

En France, la loi Claeys-Leonetti autorise le médecin à soulager les douleurs du patient en fin de vie. La patiente française que vous évoquez, Rinélya, n'entrait-elle pas dans cette catégorie ?

Elle n'a pas osé demander une sédation terminale, car elle connaissait déjà la réponse. La loi Leonetti, quelle que soit sa version, n'aurait pas pu répondre à sa situation. On lui aurait dit qu'elle ne remplissait pas les conditions pour obtenir la sédation terminale. J'ai connu une patiente atteinte d'un cancer de stade 4. Elle a demandé la sédation profonde à plusieurs reprises. Cela lui a été refusé. Trop tôt, selon son médecin. Elle a rassemblé ses dernières forces pour venir en Belgique. Demander l'euthanasie outre-Quiévrain, c'est encore plus dur pour ces patients. Ils meurent loin de chez eux, à l'hôpital, en suivant une procédure longue et difficile. Mais, au fond, cela fait l'affaire de certains responsables français. C'est une manière de ne pas prendre le problème à bras-le-corps.

Le site Le Point

 

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