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La promesse et le mirage des soins palliatifs

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Communiqué
11 juillet 2023
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Le deuxième week-end de la Convention citoyenne sur la fin de vie a bien mis en évidence la voix de l’opposition au droit de mourir, plutôt que d’ouvrir la réflexion à une réforme qui permettrait aux malades en agonie de choisir librement les conditions de leur mort. Mark Lee Hunter (journaliste), Jean-Louis Touraine (ancien médecin et parlementaire) et Angèle Delbecq (journaliste)

Le deuxième week-end de la Convention citoyenne sur la fin de vie a bien mis en évidence la voix de l’opposition au droit de mourir : plutôt que d’ouvrir la réflexion à une réforme qui permettrait aux malades en agonie de choisir librement les conditions de leur mort, d’aucuns proposent de précipiter l’analyse collective dans un mur.

Les fondations de ce mur, ce sont les soins palliatifs déformés, mal compris. A l’évidence, beaucoup des Conventionnés étaient initialement dans l’ignorance de ce que sont les soins palliatifs. Lorsqu’ils envisageaient de définir les « grands enjeux », ils s’interrogeaient : « Quelle est la limite des soins palliatifs ? Existe-t-il des douleurs physiques chroniques intolérables et intraitables, silencieuses, qui ne seraient pas traitées par les soins palliatifs ? » (En effet, et nous en parlerons.) Les malades sont eux aussi peu informés : une étude française de 2021 a révélé que des patients demandeurs d’aide active à mourir dans les hôpitaux ne connaissaient pas la différence entre soins palliatifs et euthanasie.

Cette ignorance s’explique en partie par le caractère relativement récent de cette discipline. Elle émergeait en France dans les années 70-80 et s’est développée lors de l’augmentation des situations liées au sida et à divers cancers ou maladies neurologiques. Face aux malades en impasse thérapeutique, les médecins de l’époque, aidés des autres personnels hospitaliers, ont remis en question simultanément l’obstination déraisonnable (ou acharnement thérapeutique) et les pratiques euthanasiques réalisées en catimini. Accompagner et apaiser les patients en fin de vie, réduire leurs souffrances physiques et psychiques : c’est aujourd’hui encore le cœur du métier.

Est-il pourtant exact, comme l’indiquaient les médecins, infirmiers et psychologues témoignant de devant les Conventionnés – de  façon « quasi-unanimes », selon la remarque du journal La Croix – que  le cadre législatif de la loi Claeys-Léonetti de 2016 « permet de faire face à la très grande majorité des situations de fin de vie »? Et, si tel est le cas, quid de la minorité ? Pour rappel, la loi prévoit l’administration d’une "sédation profonde et continue jusqu’au décès" pour les malades incurables dont la mort doit survenir à court terme. Jusqu’à cette phase terminale et pendant celle-ci, les soins palliatifs prennent en charge les souffrances des malades et de leur famille. Du moins, en principe.

Une majorité de la Droite culturelle, politique et religieuse conservatrice s’est appropriée cette approche. Pour ces personnes, il y a là une solution qui peut être imposée à tous, en particulier au moment où le vieillissement de la population et la multiplication de certaines maladies neurologiques (Alzheimer, Parkinson, Charcot, etc) obligent à repenser les conditions de fin de vie. Valérie Pécresse, candidate des Républicains à la Présidence de la République en 2022, déclarait ainsi, de concert avec la Manif pour tous, que « la priorité doit être de développer la culture palliative en France, en particulier les soins palliatifs à domicile ». Sous-entendu : cela suffirait pour les malades concernés, lesquels n’ont pas à réclamer une autre fin.

L’un d’entre nous en a fait l’expérience au niveau d’un hôpital réputé et d’une unité mobile de soins palliatifs, lors du calvaire enduré par une femme atteinte de la maladie de Charcot. Dans les deux lieux, des professionnels admirables se sont montrés à l’écoute des angoisses et souffrances de la malade comme de son entourage. Ils se sont employés à chercher des solutions aux problèmes surgissant dans cette terrible phase de fin de vie.

Ils ont proposé les appareillages permettant de monter les escaliers, de se lever, de communiquer, de respirer, de se nourrir quand les paralysies des muscles progressaient inexorablement. Malheureusement, ces machines peuvent aussi ajouter à la souffrance, en tant que symboles d’une situation qui s’empire continuellement, et aussi comme vecteurs de complications. Chez nous la malade est morte d’épuisement, sa bouche envahie par des mycoses apportées par le respirateur. Elle avait demandé l’euthanasie à plusieurs reprises. En vain. Non, ça ne suffit pas.

Devant la Convention, les témoins ont volontairement admis les limites de tels soins.

Première limite : une partie du corps médical – parfois en cancérologie par exemple – persiste dans la logique de l’acharnement thérapeutique jusqu’à la fin. La psychologue Lucille Rolland Piègue s’exprimait ainsi devant les Conventionnés: "Si vous saviez le nombre de fois où on se retrouve dans des situations d’obstination déraisonnable, devant des patients qui meurent avec des chimiothérapies, des personnes de cent ans à qui on met des sondes naso-gastriques pour les nourrir…"

Il y a aussi l’insuffisance de moyens. La convention ne s’est pas appesantie sur les restrictions progressives perçues dans le système de santé, cruellement mises en lumière lors de la pandémie de Covid-19. Par contre, la situation actuelle a bien été décrite : manque de lits, de médecins, d’infirmiers, de psychologues, etc. (Les témoins n’ont pas évoqué le manque de médicaments, pourtant bien réelle.) Constat désabusé de Sylvaine Mazière Tauran, Secrétaire Générale de l’Ordre des infirmiers : « Il y a une problématique de ressources humaines parce que, par exemple, très concrètement, moi je cherche deux médecins en soins palliatifs. On les paye 20% au-dessus de la grille (des salaires) et on ne trouve personne ».

Elle n’est pas la seule. « Il y a un collègue qui est en neurologie dans le sud de la France, elle est la seule psychologue pour cent patients », disait Lucille Rolland Piègue. Sylvain Mazière Tauran renchérit : « Il faut savoir quand même que les unités de soins palliatifs ce sont un petit nombre de sites … et que la majeure partie des patients ne meurt pas forcément dans les unités de soins palliatifs mais dans d’autres services hospitaliers ou à leur domicile ou encore en EHPAD. Et, notamment en EHPAD, il y a une insuffisance de présence d’infirmières ». L’insuffisance de personnels est généralisée, et explique par exemple que les malades mourraient plus souvent seuls dans les services de soins palliatifs que lorsqu’ils sont soignés chez eux, d’après une récente étude suédoise. 

« Il y a 24 départements en France qui n’ont pas d’unité de soins palliatifs. Vingt-quatre ! », a souligné Lucille Rolland Piègue. Ces malades vont dans d’autres départements où, peut-être, ils feront partie des 30 pourcents qui peuvent être accueillis dans des unités de soins palliatifs. Les familles doivent alors "faire plus de 100 kilomètres pour rendre visite à leur proche en train de mourir. Normalement ça devrait être provisoire mais ça dure. Les unités mobiles, c’est pareil » - c’est-à-dire, la même carence de ressources.

Même si l’accès aux soins palliatifs devenait égal pour tous, est-ce que cela apporterait la solution dans toutes les circonstances ?  Évidemment non. Non dans certaines pathologies. Non pour certains malades. Non pour ceux, par exemple, qui ne supportent plus les douleurs physiques ou psychiques « rebelles » - le terme médical pour celles qui résistent aux traitements. Jérôme Tosun, médecin dans une équipe mobile :  « On va aller à la rencontre des patients, des équipes, des familles de l'entourage, etc. Souvent, le mot qui revient en premier, c'est la souffrance, la douleur physique ou morale. Parfois, on a l'impression [que cela] prend toute la place. » Jean-Claude Flanet, un médecin opposé à l’aide active à mourir, ne pouvait pas offrir une solution : « Je crois qu'on a le droit d'admettre notre impuissance à pouvoir tout soulager, tout guérir, tout faire… »  Lucille Roland Piègue confirmait : « Par l'accompagnement, on arrive fréquemment à apaiser une partie de la souffrance. On n'arrive pas à tout apaiser, ce n'est pas toujours possible. »

Et puis il y a les dérives.

En France, tout geste accélérant la fin de vie est interdit. Seules sont permises l’abstention thérapeutique et la sédation profonde et continue jusqu’au décès. La sédation était pratiquée avant la loi Claeys-Leonetti de 2016 et la Haute Autorité de Santé en a codifié les modalités. Il s’en réalise moins aujourd’hui qu’avant 2016 (selon Véronique Fournier, ancienne Présidente du conseil d'orientation stratégique du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie), en partie parce que les conditions stipulées ne sont pas souvent réunies.

Par exemple, prévenait la HAS en 2018, « la mise en œuvre de la sédation puis la surveillance du patient jusqu’au décès demandent une grande disponibilité du médecin et de l’infirmière. » Pourquoi ? La HAS énumère : « effet indésirable des médicaments, réapparition des douleurs, diminution de la profondeur de la sédation voire réveil. » La HAS a défini aussi les responsabilités : « Si ces conditions ne sont pas réunies, une hospitalisation peut être nécessaire. » L’opération chez soi devient plus risquée pour le corps médical, et plus demandeur de leur temps.

Dans son livre Médecin catholique, pourquoi je pratique l’euthanasie, Corinne Van Oost, médecin Franco-belge spécialiste des soins palliatifs en Belgique, écrit : « un malade qui souffre en appelle à la mort, mais rarement au sommeil. Il sait qu’en dormant, il ne pourra plus décider de rien, même des petits détails de l’existence, et qu’il ne sera plus en mesure de communiquer avec son entourage. Il sera là sans être là. Faire dormir, c’est faire taire. Si l’objectif des soins palliatifs est de rendre le patient sujet jusqu’au bout, la sédation n’est pas un bon outil. Pour les soignants, en user est avant tout un aveu d’impuissance ». 

Lorsque l’évolution de la maladie est si avancée qu’il ne reste qu’à peine 24 heures de survie au patient, les choses peuvent bien se passer : on endort le malade et réduit ses douleurs pendant une journée ; il décède pendant cette journée, un peu comme si l’on pratiquait une anesthésie générale sans réveil.

Parfois, cela ne se passe pas bien, en particulier si la procédure se prolonge plus longtemps. Le malade est endormi mais n’est pas parvenu au stade terminal. Cela pourrait durer ainsi pendant des mois. La loi a prévu que dans de tels cas, pour hâter l’évolution vers la mort, on peut arrêter l’hydratation et l’alimentation. Le patient se déshydrate. Son aspect physique se modifie et il va développer une insuffisance rénale aiguë par déshydratation. Les reins ne fonctionnent plus, des produits toxiques s’accumulent dans l’organisme, empoisonnant le malade. L’insuffisance rénale n’est l’objet d’aucun traitement spécifique pour ne pas retarder la mort du malade. Celui-ci meurt alors, après des moments très pénibles pour les proches et parfois pour les soignants. En ce qui concerne le patient, il n’est pas possible d’affirmer qu’il ne souffre plus pendant cette période. Vu de l’extérieur, c’est un supplice de plus. Certains médecins n’ont pas envie de le recommencer.

Est-ce que cette mort différée est plus éthique que l’aide active à mourir, pratiquée dans de nombreux pays, tels que la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Espagne, la Suisse, l’Autralie, le Canada, et onze juridictions des Etats-Unis ?

En tout cas, il y a des médecins – minoritaires, mais sur-représentés à la Convention – qui n’acceptent aucune aide active à mourir. Comme disait le médecin Jean-Claude Flanet, « Je ne peux pas me dire que je vais tuer un patient. Pour moi, ce n'est pas possible. »

Derrière cette position catégorique, il y a une ironie que l’on peut qualifier de tragique. Depuis le début des soins palliatifs en France, les pionniers ont été habité par le désir d’arrêter une pratique abusive :  la réalisation de l’euthanasie par injection, décidée seulement par le médecin, souvent à l’insu du malade, quand la phase agonique se présentait de manière incontestable, et que l’impasse thérapeutique était avérée.  C’était non-respectueux du malade, et c’était un abus de l’autorité médicale, au même titre que l’acharnement thérapeutique.  Aujourd’hui, un autre abus se dévoile. Comme la Convention l’a révélé, les soins palliatifs en France participent à une lutte contre toute forme d’aide active à mourir, même et presque surtout quand c’est demandé par le malade lui-même.

Les soins palliatifs à la française ont ainsi atteint leurs limites. Comme Flanet le disait, « C'est l'échec de la médecine ».  Au mieux, l’affirmation que la législation actuelle « permet de faire face à la très grande majorité des situations de fin de vie » fait abstraction de la souffrance d’un nombre non négligeable de malades et de leurs proches.  Par exemple, chaque année on compte un millier de nouveaux cas de l’inguérissable Maladie de Charcot en France, et les chiffres sont en augmentation continue. 

Qu’en disent les malades ? Selon les dernières recherches en France,  « Une demande d’euthanasie apparaît comme un moyen volontaire de s’extirper de l’impasse d’une existence paralysée par la souffrance. »

Ce qui mène à un autre « grand enjeux » de la Convention : « Les exceptions acceptables / nécessaires à la loi Claeys – Léonetti. » A la fin de la 3e session, les citoyens de la Convention ont largement voté en faveur d’une évolution de la loi. Ils ont sans doute compris que le statu quo n’est ni tenable, ni acceptable.

En définitive, chacun s’accorde à reconnaître le bénéfice et la nécessité des soins palliatifs. Il faut bien assurer leur déploiement sur tous les territoires de notre pays. Est-ce que cela s’oppose à l’exigence, impérieuse dans certains cas, d’une aide active à mourir, solution unique à de très grandes détresses ? Évidemment non. Corinne Van Oost, dans son tout nouveau livre, montre que l’euthanasie est un soin palliatif, le dernier, effectué dans la continuité de tous les autres, avec la même humanité.

Au nom de quoi, à quel titre, quiconque pourrait s’opposer à cela ? En se prétendant habilité à imposer la souffrance en fin de vie ? En se drapant dans le paternalisme soignant qui définit ce qui est bien et acceptable par le malade, sans tenir compte de son point de vue ?

Mark Lee Hunter (journaliste), Jean-Louis Touraine (ancien médecin et parlementaire) et Angèle Delbecq (journaliste)

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