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Fin de vie : un modèle « à la Française », mais lequel ?

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Communiqué
2 mai 2023
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Le lundi 3 avril dernier, alors qu’il recevait les citoyens de la Convention citoyenne sur la fin de vie venus lui remettre leur rapport finalisé la veille, le président de la République a appelé de ses vœux une nouvelle loi sur la fin de vie. Il a brièvement dressé les contours de ce qu’il a appelé alors le modèle « à la Française », dont les limites seraient les suivantes :
- la garantie d’une expression de la volonté libre et éclairée ;
- la réitération du choix ;
- l’incurabilité de souffrances réfractaires, psychiques et physiques, voire l’engagement du pronostic vital ;
- l’absence de motif social à la réalisation d’une aide active à mourir ;
- l’exclusion des mineurs d’un tel dispositif.

Que le président de la République se rassure – et n’en déplaise aux opposants à une loi de liberté qui véhiculent mensonges et fantasmes – ces limites existent partout où de telles législations ont déjà été votées. Seule la prise en charge des mineurs – que ne demande pas, à ce stade, l’ADMD – marque la particularité de certaines législations étrangères. Elle est arrivée en Belgique douze ans après le vote de la loi et, aux Pays-Bas, vingt-deux ans après (pour les mineurs de moins de 12 ans), répondant ainsi à la problématique de leur fin de vie et de la prise en compte de leurs souffrances, aussi nécessaire que chez leurs ainés.

Puisqu’il faut définir les contours d’un modèle « à la Française », qu’il soit permis au président de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité – association créée en 1980 et qui rassemble aujourd’hui près de 77 000 adhérents actifs autour d’une revendication reconnue par plus de 90 % de la population française – de participer à ce travail.

Ainsi, en octobre 2018, sous l’impulsion du président d’alors, Jean-Luc Romero-Michel, devenu il y a bientôt deux ans président d’honneur, une proposition de loi a été soumise et votée par les adhérents de l’ADMD, au cours de sa 38e assemblée générale. En voici les principaux éléments.

Tout d’abord, cette proposition de loi pose le principe du respect des droits des patients et de la volonté des personnes en fin de vie. Elle réaffirme la nécessité absolue d’un accès véritablement universel aux soins palliatifs, ce qui passe par un renforcement des moyens dans l’ensemble des départements français, et notamment dans les vingt-et-un départements actuellement dépourvus d’unité de soins palliatifs.

Dès lors, le texte de l’ADMD exclut d’emblée les mineurs pour ne s’adresser qu’aux seules personnes capables juridiquement. L’expérience acquise après le vote de la loi et sa mise en œuvre durant quelques années permettront de préciser les prises en charge qui devront être envisagées pour les mineurs en fin de vie qui endurent des souffrances inapaisables et intolérables et dont la mort inévitable est attendue dans un avenir prévisible.

Ensuite, cette proposition vise à s’appliquer à toute personne en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, même en l'absence de diagnostic de décès à brève échéance, infligeant une souffrance physique ou psychique inapaisable qu’elle juge insupportable ou la plaçant dans un état de dépendance qu’elle estime incompatible avec sa dignité. Nulle part, il n’existe d’aide active à mourir pour des questions sociales, de chômage, de mal-logement ou d’isolement.

Bien sûr, seule la personne concernée peut demander à bénéficier d’une aide active à mourir. Ni ses proches, ni ses médecins ne peuvent la demander à sa place, voire même la proposer. La demande faite, elle doit être réitérée après plusieurs jours et, en cas de consentement du corps médical pour pratiquer le geste ultime, le patient peut revenir jusqu’au dernier moment sur sa décision.

L’ADMD n’envisage pas le contrôle à priori de l’acte par une commission, qui lui semble être une fausse bonne idée. En effet, ce contrôle avant l’acte rallonge les délais de manière cruelle. C’est ainsi qu’en Espagne, où ce contrôle à priori existe, la loi impose un délai maximum de trente-cinq jours entre la demande et l’acte ; mais ce délai, dans les faits, s’élève à cinquante-quatre jours en moyenne ! La conséquence de cet allongement des délais est qu’un tiers des personnes qui demandent à bénéficier d’une aide active à mourir meurent avant l’aboutissement même de la procédure. En Espagne, 29 % des euthanasies concernent des malades du cancer, alors qu’en Belgique, où ce contrôle à priori n’existe pas, 60 % des euthanasies concernent des malades du cancer. La conclusion tirée de ces chiffres est que les malades porteurs de pathologies à évolution rapide ne peuvent majoritairement pas bénéficier d’une aide active à mourir, dès lors qu’une commission de contrôle intervient en début de procédure.

L’aide active à mourir doit prendre la forme d’un suicide assisté (auto administration d’un médicament létal) mais aussi d’une euthanasie (administration par un tiers d’un médicament létal). En effet, le suicide assisté ne concerne que les seuls patients en fin de vie encore aptes physiquement à faire le geste. Légaliser le seul suicide assisté, c’est priver des personnes enfermées dans leur corps, en état végétatif chronique ou en état pauci relationnel – comme Vincent Humbert ou Vincent Lambert – d’une porte de sortie ; c’est priver les malades atteints de sclérose latérale amyotrophique – comme Anne Bert – d’une mort choisie.

La France a toujours besoin de tracer sa propre voie. C’est ainsi. Le modèle « à la Française » souhaitée par le président de la République pourrait bien être celui que propose l’ADMD, qui se nourrit des législations étrangères qui fonctionnent si bien que les Français en fin de vie veulent y recourir, qui s’enrichit des difficultés posées par des législations parfois trop restrictives et qui répond aux fantasmes de ceux qui, par immobilisme, jettent l’opprobre sur les pays qui placent les droits humains à un niveau plus élevé que la France.

Le modèle « à la Française » sera une loi d’humanité et de solidarité, qui n’emportera aucune obligation pour quiconque, y compris pour les médecins grâce à une clause de conscience. Une loi qui répondra avec clairvoyance et respect aux demandes d’aide active à mourir de ceux de nos compatriotes qui sont arrivés au bout, dont la vie n’est plus que de la survie, et qui refusent d’entrer dans la phase agonique.

Jonathan Denis
Président de l'ADMD

 

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Politique
Euthanasie
Suicide assisté
Soins palliatifs
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