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Fin de vie en République - Erwan Le Morhedec

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Communiqué
7 février 2022
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L’entame de la quatrième de couverture de ce livre « événement » (dixit l’éditeur) indique d’emblée que cela commence mal : « Quand certains demandent un droit de mourir dans la dignité par l’euthanasie, doit-on considérer dès lors comme indigne la mort naturelle des autres ? Comment en sommes-nous arrivés à un tel paradoxe ? » Qui peut bien penser une telle ignominie ? A vrai dire une telle stupidité ? Hormis M. Le Morhedec ? Cela commence mal donc : un « paradoxe » qui n’existe que dans le cerveau de l’auteur de cet ouvrage, un livre qui se veut « libelle et enquête » et où l’ADMD est une cible récurrente.
 
Rappelons la définition de libelle en matière littéraire : « Petit écrit satirique et/ou diffamatoire ; pamphlet. » (Larousse). Nous allons essayer de n’être ni satirique, ni diffamatoire et pas plus pamphlétaire. Alors commençons par l’enquête.
 
Une enquête partiale et biaisée
 
Ce qui se présente comme une enquête consiste à égrener les témoignages de soignants en soins palliatifs, et jamais des patients, notons-le. Témoignages positifs qui exhibent des succès des soins palliatifs pour des personnes en fin de vie et à cela nous n’avons rien à redire puisque l’ADMD revendique un « accès universel aux soins palliatifs » à côté du droit à l’euthanasie et au suicide assisté.
 
Ainsi l’ADMD était la seule association à protester auprès des autorités sur la non reconduction d’un plan triennal de développement des soins palliatifs en 2018. Dès février 2019, à l'occasion du Grand Débat, Jean-Luc Romero-Michel, alors président de l’ADMD, a demandé la mise en œuvre d'un plan 2019-2021. Aussi bien au président de la République qu'à la ministre de la santé de l'époque. Il a ensuite réitéré sa demande dès la nomination d'Olivier Véran au ministère de la santé. Mais cela M. Le Morhedec ne le mentionne pas puisque l’ADMD est pour lui de mauvaise foi quand elle défend les soins palliatifs (un « affichage », p.147). Le factuel n’a pas d’importance face au parti-pris, on connaît la chanson dogmatique.
 
Et du parti-pris, nous en avons dans cette « enquête » puisqu’il y manque la « moitié du ciel » comme on dit : les témoignages des personnes qui font le voyage en Suisse pour bénéficier d’un suicide assisté, les témoignages des familles ou proches aimés qui accompagnent les personnes dans une euthanasie ou un suicide assisté, les accompagnants des associations et les soignants qui pratiquent dans le respect des personnes et de leur volonté un « dernier soin ». Et bien sûr les délégués départementaux comme les écoutants du service ADMD-écoute qui auraient aussi quelques témoignages à confier à l’auteur de cette enquête… Mais cela nenni.  
 
A vrai dire, le cœur de l’ouvrage se situe dans la déclaration du père jésuite Patrick Verspieren « reconnu comme un pionnier des soins palliatifs en France » (p.174) et que l’auteur reprend sans sourciller : « Tout l’enjeu est de développer les soins palliatifs. Mais si l’on veut développer les soins palliatifs, alors on doit faire appel à ceux qui ont une horreur viscérale de l’euthanasie. » (p. 193). La messe est dite. Nous avons donc une défense des soins palliatifs à laquelle nous adhérons comme telle mais comment s’étonner que certains et certaines aient quelque appréhension envers un champ de soins qui serait laissé aux seuls opposants « viscéraux » au droit à l’euthanasie ! Faut-il rappeler que la Belgique est reconnue comme possédant une des meilleures organisations des soins palliatifs d’Europe, concomitante avec une loi (depuis 20 ans maintenant) sur le droit à l’euthanasie ?  
 
Un libelle idéologique
 
Mais rien n’y fait et c’est normal quand il s’agit de viscères et de « convictions sur la fin de vie » (p. 153), convictions d’un homme en bonne santé qui écarte d’emblée et donc dogmatiquement tout témoignage qui viendrait contredire ses convictions. Rappelons le cas de Mme Guinchard, ancienne secrétaire d’Etat qui défendait la loi Leonetti de 2005 et qui, malheureusement rattrapée par la maladie, est allée mourir en Suisse faisant de sa décision un geste politique car oui, la réalité de la maladie peut nous amener à changer d’avis, dans un sens comme dans l’autre, et oui nous ne savons pas quelle sera notre décision face au destin. C’est pourquoi un droit à l’euthanasie ou au suicide assisté est bien une loi de liberté, un droit auquel en cas d’affection grave et incurable nous ferons peut-être, et peut-être pas, appel.  
 
Ayant compris le fond des convictions de M. Le Morhedec, on ne s’étonnera pas de voir étalée la doxa des opposants au droit à l’euthanasie avec sa dose de mauvaise foi…  
 
Y passe donc la question de la faiblesse des patients face à la « pression sociale, familiale et médicale », se sentant par-là obligés de consentir à une euthanasie comme des agneaux à l’abattoir. Le thème de la dérive avec une inflation d’euthanasies pour tout et n’importe quoi dans les pays la légalisant. La fiction de garanties légales sur les abus éventuels. L’attrait des gouvernements pour des économies en soins par la facilitation du droit à l’euthanasie. Le dépérissement à venir des unités de soins palliatifs. La souffrance des médecins pratiquant l’euthanasie et la difficulté supposée d’une « objection de conscience » puisque celle-ci entraînerait des tensions insupportables dans les unités de soins. Etc...
 
Dans le cadre d’une note de lecture on ne va pas reprendre chaque supputation et chaque contre-vérité. Signalons deux points :  
 
    Si l’auteur avait bien voulu faire une « enquête » honnête et recueillir d’autres témoignages que ceux qu’il voulait entendre, il saurait que « la pression sociale, familiale et médicale » fonctionne dans les deux sens, soit dans l’arbitraire de certains médecins qui se refusent à appliquer ne serait-ce que la loi actuelle, soit dans l’obstination déraisonnable de certaines familles (parents Lambert pour ne citer qu’eux), soit encore dans la pression sociale liée à l’entourage religieux et/ou communautaire.  
 
Revendiquer l’autonomie décisionnelle des individus en fin de vie, c’est aussi un combat pour l’information sur les dispositions de la loi et sur leurs droits, pour que le sujet de la mort ne soit plus tabou dans la société comme dans la famille. En bref donner les outils de cette autonomie. C’est la tâche de l’ADMD, entre autres.
 
    Concernant la situation en Belgique, notons que l’auteur, pour une loi qui a 20 ans d’existence, n’a qu’un cas litigieux à exhiber (p. 65) et pour le reste s’applique à dénoncer l’impuissance (évidemment coupable, voire volontaire) de la Commission Fédérale de Contrôle et d’Evaluation de l’Euthanasie face aux « cas douteux ». Rappelons que les cas douteux d’euthanasie sont pour l’essentiel liés aux sédations pratiquées en vertu du « double effet » (dans le but de soulager les douleurs mais pouvant entrainer le décès), le doute portant sur l’intention réelle des soignants. Or, nous dit notre auteur, qui se présente comme avocat catholique : « Incidemment, on rappellera aussi que dans la foi chrétienne l’intention est un élément constitutif du péché. » (p. 178). Donc, le doute reposerait sur l’intention des soignants dans la sédation, bon courage pour sonder les cœurs et en juger ! Mais il est vrai que l’Inquisition a fait des miracles en la matière.
 
Ce problème de la sédation, qui se révélerait terminale sans que la personne n’ait donnée son consentement, est aussi bien un problème français (et mondial) mais notre auteur, dans le déni de la situation française (des « chiffres… tout simplement faux et contestés de toutes parts » il faut savoir ils sont faux ou contestés ?) ne veut voir que la Belgique où malgré une loi qu’il considère comme laxiste, de petits malins s’obstinent à pratiquer des euthanasies clandestines.
 
L’idéologie sous-jacente
 
De fait, on a dans cet ouvrage le décalque complet des « arguments » des opposants au droit à l’avortement appliqué maintenant au droit à l’euthanasie et au suicide assisté. Avec au milieu la même idée d’une « contrainte insidieuse » (p. 19) qui fausserait le jugement autonome des personnes concernées.
 
Et puis par-ci par-là les remarques à la limite de l’indignité sur les « mères isolées » (dans les cas de Vincent Humbert, Rémy Salvat, p. 122) et sur « la mère célibataire » aux « plus grandes chances de se résigner à accélérer sa fin » (p. 135). Concernant Vincent Lambert, on en reste ébahi devant l’outrance : « n’est-il pas profondément choquant qu’un nouvel arrêt des traitements se soit imposé, sans discussion, avec la force de l’évidence, dans une opinion publique pourtant ignorante de son état de santé exact ? » (p. 124). N’y manque même pas le thème populiste des élites contre le peuple : « l’interpellation d’une aristocratie politique, artistique et médiatique, disposant de tous les leviers et relais nécessaires pour imposer son opinion » (p. 142). Encore une fois, allez donc consulter les témoignages des personnes sur le site de l’ADMD pour voir ce qu’il en est de « l’aristocratie ».
 
Enfin, signalons cet aveu discret qu’en cas d’échec des soins palliatifs, il reste aux patients la possibilité de se suicider : « Quoi que l’on pense du suicide assisté, un patient atteint de SLA reste longtemps en mesure de prendre une pilule ou de déclencher, par un moyen ou un autre, un mécanisme létal » (p. 186). Aveu effarant qui reprend les propos d’anciens dirigeants de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) tenus devant le Groupe d’études fin de vie de l’Assemblée nationale : « Pour ceux qui veulent vraiment mourir, le suicide reste une option. »
 
 
Un livre « événement » et sa quantité d’importance nulle. Viscères et mauvaise foi…
 
LB