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Fin de vie : laissons le choix aux patients - Huffpost

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Communiqué
10 octobre 2019
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EUTHANASIE - L’accompagnement des personnes en fin de vie est un sujet qui fait souvent débat dans notre société. Alors que la grande majorité des Français est favorable à la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté (depuis 2016, de nombreux sondages montrent que plus de 80% des Français souhaitent la promulgation d’une loi sur l’aide active à mourir), le gouvernement refuse d’aborder ce sujet de société.

Face au silence des politiques, des mouvances religieuses “pro life” et anti-IVG, n’hésitent pas à donner de la voix, pour essayer d’imposer leur vision des soins palliatifs. Une vision axée sur leurs croyances religieuses ou la volonté du patient est secondaire. Cela s’est fortement ressenti, l’été dernier, suite aux nombreux rebondissements de l’affaire Vincent Lambert, patient décédé le 11 juillet au CHU de Reims. De plus, cette affaire tragique, fortement médiatisée, a révélé de réelles failles juridiques sur la prise en charge de la fin de vie dans notre pays.

Vincent Lambert était un infirmier, qui en 2008 s’est retrouvé plongé dans un état végétatif chronique, jugé irréversible, après un grave accident de la route. Suite à cela, une longue bataille a opposé les parents de Vincent Lambert, qui souhaitaient maintenir leur fils en vie, à la femme (tutrice légale) et au médecin de ce dernier, qui estimaient eux que la poursuite des traitements s’apparentait à de l’acharnement thérapeutique. 

Durant ce conflit acharné, plusieurs tribunaux français ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme ont validé à plusieurs reprises l’arrêt des traitements. Mais les parents, dont les frais d’avocat étaient financés par la fondation Lejeune (association chrétienne pro-vie et anti IVG), ont réussi à multiplier les recours pendant des années pour repousser la décision d’arrêt des thérapeutiques, et ce en étant en totale contradiction avec la volonté de leur fils comme l’a affirmé le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en janvier 2019 : “Il résulte (...) que le maintien des soins et traitements constitue une obstination déraisonnable” et “que la volonté de Vincent Lambert de ne pas être maintenu en vie dans l’hypothèse où il se trouverait dans l’état qui est le sien depuis 10 ans est établie”.

Comme l’a expliqué François Molins, procureur général près la cour de cassation, concernant l’affaire Vincent Lambert : le devoir du magistrat est de statuer au nom du droit et de ne pas décider en fonction de ses émotions, ses opinions personnelles, morales ou religieuses. 

Jusqu’à quand le débat sur la fin de vie doit-il être confisqué par des organisations qui s’en remettent à un prétendu Dieu ?

La situation qu’a vécue Vincent Lambert doit tous nous faire réfléchir, à la fois en tant qu’être humain qui sera amené à être confronté à sa propre mort mais aussi, en tant que citoyen qui prend part aux décisions politiques.

C’est pourquoi il est crucial de se demander jusqu’à quand le débat sur la fin de vie doit être confisqué par des organisations qui s’en remettent à un prétendu Dieu plutôt qu’aux hommes. Car selon moi, il est urgent de prendre des mesures qui placent l’individu au cœur du processus de décision, d’autant plus quand il s’agit de sa vie et de son devenir.

Il est donc fondamental :

- De lancer une campagne d’information nationale sur la fin de vie, les droits des patients, la possibilité de nommer une personne de confiance, ou de rédiger des directives anticipées… Le grand public et parfois même les professionnels de santé sont dans le flou concernant les dispositifs existants. Cela permettrait alors à un plus grand nombre, de pouvoir se positionner clairement quant à leur fin de vie, limitant ainsi ultérieurement, les situations délétères tels que les conflits familiaux. 

- D’investir davantage dans les soins palliatifs. Aujourd’hui, que ce soit dans les établissements de santé, dans des EHPAD, ou à domicile, des patients n’ont pas accès à une prise en charge adéquate, une gestion efficace de la douleur. Par manque de moyens humains et matériels, des patients souffrent encore.

- De réaliser un grand débat public qui pourrait faire aboutir à une nouvelle loi (la loi actuelle ayant révélé ses limites) en posant des questions concrètes. Que doit-on faire face à un patient en fin de vie qui souffre et qui souhaite mourir? On doit bien évidemment traiter sa douleur, lui prodiguer des soins de bien-être et de conforts, l’écouter avec empathie, mais si cela ne suffit pas? Doit-on détourner le regard face à la souffrance physique et psychologique d’autrui, face à une personne qui nous réitère sa volonté de mourir? 

Je pense donc qu’il est primordial en plus des développements croissants des soins palliatifs, d’autoriser la pratique de l’euthanasie ou du suicide assisté dans des situations précises et encadrées médicalement (patient majeur atteint d’une maladie grave et incurable qui a réitéré à plusieurs reprises sa volonté, avis d’une collégialité de médecins…) comme cela existe dans plusieurs autres pays notamment en Belgique. 

Le droit français donne la possibilité au patient de refuser un traitement qui est vital pour sa santé et comme l’a indiqué la Cour européenne des droits de l’homme en 2002 : “En matière médicale, le refus d’accepter un traitement particulier pourrait, de façon inéluctable, conduire à une issue fatale, mais l’imposition d’un traitement médical sans le consentement du patient s’il est adulte et sain d’esprit s’analyserait en une atteinte à l’intégrité physique de l’intéressé. Comme l’a admis la jurisprudence interne, une personne peut revendiquer le droit d’exercer son choix de mourir en refusant de consentir à un traitement qui pourrait avoir pour effet de prolonger sa vie.”

Alors si un patient peut faire le choix de mourir en refusant de se faire soigner, pourquoi ne pas lui permettre d’avoir accès à l’euthanasie ou au suicide assisté?

Ne soyons pas hypocrite quand on sait que la pratique de l’euthanasie existe déjà en France : l’INED (Institut National d’Études Démographiques) à partir d’une étude de 2012, évaluait le nombre d’euthanasies clandestines, par an, à environ 1200 et à moins de 2000 le nombre de personnes souffrant de maladies graves qui se suicident. Une loi permettrait d’éviter les dérives et un meilleur encadrement de cette pratique qui est loin d’être anodine.

Vincent Lautard, Infirmier et juriste en droit de la santé et de la protection sociale; consultant dans le secteur sanitaire et social

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