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«Covid : les morts ne sont pas des chiffres» – La tribune de François de Closets

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Communiqué
8 janvier 2021
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Nul besoin de recourir à l’intelligence artificielle pour s’y retrouver dans notre hourvari médiatique. Il suffit de s’en tenir à une règle toute simple : en France, les paroles font diversion, l’essentiel ne se dit pas.

Par ces temps de crise sanitaire, la monopolisation du débat sur la vaccination permet d’occulter les sujets les plus graves : la fin de vie par exemple. De l’autre côté des Pyrénées, les Espagnols, frappés plus cruellement que nous par la Covid-19, ont trouvé le temps d’aller à l’essentiel et, surmontant cette terreur méditerranéenne face à la mort, ils ont débattu de la fin de vie. Un vrai débat débouchant sur une réforme majeure : la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie active. Une véritable révolution dans un pays de si forte tradition catholique.

Les Espagnols, en pleine épidémie, peuvent accomplir une telle révision, les Français en sont incapables. Ils l’ont démontré dans cette crise même en étouffant l’un des pires ratés de notre puissance publique.

Pendant le premier confinement, nous nous étions accoutumés à une comptabilité froide et abstrait : une mort, toujours la même, réduite à des chiffres. Dans la réalité, la mort n’est jamais la même et, dans le cas de la Covid-19, elle peut intervenir au terme d’une interminable asphyxie, une fin particulièrement atroce. La médecine possède des substances, notamment des benzodiazépines, qui plongent le malade dans un coma irréversible et lui assurent un départ moins cruel.

Sédation. La dernière loi Claeys-Léonetti autorise le recours à ces produits pour déclencher une sédation terminale. Mais la seule demande du malade ne suffit pas. Il a été prévu tout un protocole qui donne aux soignants le mot de la fin, un protocole qui n’est applicable qu’en milieu hospitalier. Les médecins libéraux se sont donc vus interdire l’accès à ces médicaments par crainte qu’ils n’en fassent usage à la demande des malades. Les médecins qui officiaient dans les Ehpad se trouvaient donc démunis face à leurs malades qu’ils voyaient mourir dans des conditions abominables.

Des médecins firent remonter leurs protestations jusqu’au niveau de Matignon. C’est ainsi que le 28 mars, fut subrepticement publié un décret autorisant les pharmacies à délivrer aux médecins libéraux une benzodiazépine, le Rivotril intraveineux, dont l’usage leur était jusque-là interdit. Mais, effrayés par son audace, le gouvernement limita à quinze jours cette tolérance. Une décision prise à la va-vite en oubliant de prévoir le consentement du malade, l’avis de deux médecins, etc. Voilà comment en France, on se soucie de la fin de vie.

Certes, on a légiféré par trois fois sous l’égide du docteur Léonetti, promu grand prêtre de la mort républicaine. A chaque fois, il a fallu faire un pas dans le sens des Français. Car l’on sait fort bien ce qu’ils pensent et ce qu’ils exigent depuis cinquante ans. A travers tous les sondages, ils disent qu’ils veulent pouvoir choisir leur fin de vie. Or le pouvoir médical et le pouvoir religieux s’opposent absolument à cette liberté.

«La médecine peut donner la mort mais sous deux conditions: qu’elle décide en dernier ressort, que le décès n’intervienne qu’au terme d’une agonie»

Au regard de la dernière loi Claeys-Leonetti de février 2016, les médecins hospitaliers peuvent entraîner les malades dans une sédation terminale, ce qui revient à donner la mort, mais au prix d’une agonie médicalisée dont on ne connaît ni le terme ni le vécu pour le mourant. Il est en revanche interdit d’utiliser des produits qui assurent une mort paisible et instantanée.

La médecine peut donc donner la mort mais sous deux conditions : qu’elle décide en dernier ressort, que le décès n’intervienne qu’au terme d’une agonie. La première condition satisfait le pouvoir médical, la seconde le pouvoir religieux. La liberté individuelle se trouve bafouée là précisément où chacun peut choisir seul sans rien imposer aux autres. Et tout le monde sait que, comme pour l’abolition de la peine de mort ou la dépénalisation de l’avortement, cette réforme devra se faire. Mais ici comme ailleurs la France sera la retardataire de l’Europe et l’on voit des Français aller mourir à l’étranger comme l’on voyait dans les années 1960 des Françaises se rendre dans les pays voisins pour avorter.

Les lobbys médico-religieux savent que le silence seul peut protéger le statu quo. Lorsque les Français découvrent ce « devoir d’agonie » qui leur est soudain infligé, lorsqu’ils se demandent pourquoi un médecin peut faire la sédation fatale qui donne la mort mais ne peut pas mettre à disposition un poison qui laisse l’ultime décision au patient, lorsqu’ils apprennent que la fin de vie choisie existe depuis des décennies en Hollande, en Suisse, en Belgique et n’a provoqué aucun scandale majeur, alors ils souhaitent de façon quasi unanime jouir de cette même liberté.

A deux vitesses. Or, dans nos sociétés, une liberté est un droit qui doit être organisé et l’on sait fort bien aujourd’hui quelles sont les mesures à prendre pour que la mort librement choisie soit à la disposition de tous les individus et pas seulement de ceux qui « ont des relations ». Car la situation actuelle, comme en son temps l’interdiction de l’IVG, crée une société à deux vitesses : la mort apaisée pour les mieux pourvus, la mort imposée pour la masse. Oui, il suffit d’exposer les choses publiquement pour que le peuple se prononce sans hésitation. Le mensonge a besoin du silence.

Je n’ai garde d’oublier les immenses progrès qui ont été accomplis dans le domaine des soins palliatifs et l’on ne peut que saluer le personnel soignant admirable qui s’est spécialisé dans l’accompagnement des mourants. Cette médecine de la fin de vie débouche naturellement sur le choix ultime laissé au malade. Mais les lobbys de la vie jusqu’au bout ont prétendu opposer la médecine palliative au suicide assisté. Ce serait l’un ou l’autre. Rien n’est plus absurde. Il est naturel de souhaiter être accompagné jusqu’au bout et de pouvoir décider à l’instant final.

C’est un sujet qui concerne tous les Français sans nulle exception, sur lequel ils sont à peu près tous du même avis mais sur lequel le silence des lobbys fait peser une chappe de plomb. Les seules avancées possibles se font à l’occasion de situations intolérables, affaires Lambert, Humbert, Sébire, etc. qui émeuvent l’opinion. C’est alors qu’on bricole une nouvelle loi pour les médecins, jamais pour les malades, et les opposants ont beau jeu de dire qu’on joue sur l’émotion. Mais, sur un tel sujet, l’opinion n’est saisie que par des exemples extrêmes. Ce fut vrai dans les pays qui ont adopté des législations progressistes. La seule différence avec nous c’est qu’ils ont pu rompre la loi du silence et discuter démocratiquement sans tabou.

Nous nous continuons à débattre sur le délai entre consultation et vaccination anti-Covid, sans vouloir savoir comment on meurt en France. Comment nous mourrons.

François de Closets est journaliste et essayiste. Dernier ouvrage paru : Les guerres d’Albert Einstein, tome II (Robinson Editions)

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