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La liberté de déplacement en vue d’un suicide assisté en Suisse

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Communiqué
22 février 2024
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Par Etienne Deshoulières, avocat au barreau de Paris

Certaines personnes en fin de vie sont empêchées par le personnel médico-social ou par des agents de police de se rendre en Suisse en vue d’un suicide assisté. Pourtant, aucune infraction ne peut leur être reprochée (I). À l’inverse, le personnel médico-social (II) et les agents de police (III) se rendent coupables d’infractions en s’opposant à ce déplacement.  


I. Légalité de l’assistance des accompagnants

A. Légalité de l’assistance en France

En France, l’assistance fournie par l’accompagnant consiste essentiellement à aider la personne à se déplacer en vue de se rendre en Suisse pour y réaliser un suicide assisté. Cette assistance ne constitue pas une infraction pénale. En particulier, la Cour de cassation considère que cette assistance ne peut être assimilée à un acte de non-assistance à personne en danger1. En France, depuis le code pénal de 1810, le suicide n'est plus sanctionné pénalement. Dès lors, à défaut d’une infraction principale, la complicité de suicide n’est pas punissable2. Comme l’a rappelé avec force Robert Badinter, « chacun est maitre de son corps, et donc libre de disposer de son corps et de sa vie. En clair, cela signifie qu’il ne saurait être question de pénaliser le suicide ni la complicité du suicide »3.


B. Légalité de l’assistance en Suisse

Le suicide assisté étant légal en Suisse4, les accompagnants ne commettent aucune infraction au regard de la loi suisse. Ils n’encourent donc aucun risque vis-à-vis des autorités suisses. La question se pose également de savoir si les actes réalisés en Suisse sont répréhensibles par le droit français. En principe, la loi pénale française ne s’applique que sur le territoire français. Mais elle trouve également à s’appliquer aux actes commis par un Français5 ou sur un Français6 à l’étranger. Cependant, comme indiqué précédemment, le suicide assisté n’est réprimé par le droit français ni comme infraction principale ni au titre de la complicité. Les actes réalisés par l’accompagnant en Suisse ne sont donc pas susceptibles de poursuites à son retour en France.


II. Infractions commises par le personnel médico-social

A. Séquestration ou complicité de séquestration

Le droit pénal français réprime d’abord la séquestration, c’est-à-dire le fait de retenir une personne dans un lieu contre sa volonté7. Ainsi, le personnel médico-social qui prive une personne de sa liberté de déplacement en vue d’un suicide assisté en Suisse se rend coupable de séquestration. Tel sera notamment le cas lorsqu’une personne est retenue enfermée dans sa chambre d’Ehpad ou d’hôpital8. Le supérieur hiérarchique qui ordonne à un employé de priver une personne de sa liberté de déplacement en vue d’un suicide assisté en Suisse se rendrait coupable de complicité de séquestration9.


B. Violation du secret médical

La transmission de données médicales à des tiers par le personnel médico-social, tel que le personnel d’un Ephad ou d’un hôpital, est interdite par la loi. Le personnel des établissements médico-sociaux est en effet tenu par le secret médical10. La révélation de données de santé à des tiers, tels que des agents police, constitue en conséquence une violation du secret professionnel sanctionnée pénalement11. De plus, tout responsable de traitement doit assurer la confidentialité des données de santé12. Or, une information relative à un rendez-vous médical en Suisse en vue d’un suicide assisté constitue une donnée de santé13. La transmission illicite de cette information à des agents de police engage la responsabilité civile14 et pénale15 du personnel médico-social à l’origine de cette transmission.


III. Infractions commises par les agents de police

A. Atteinte à la liberté individuelle

Le code pénal interdit aux agents de police de priver une personne de sa liberté de déplacement sans justification légale16. Or, comme indiqué plus haut, un déplacement ou une assistance pour un déplacement en Suisse en vue de réaliser un suicide assisté ne se heurte à aucune règle de droit français. Un agent de police qui priverait une personne de sa liberté pour l’empêcher d’aller pratiquer un suicide assisté en Suisse se rendrait donc coupable d’une atteinte à la liberté individuelle, réprimée par le code pénal français.


B. Non-assistance à personne séquestrée

Lorsqu’un agent de police est averti qu’une personne est séquestrée, il doit faire le nécessaire pour mettre fin à la séquestration17. Ainsi, si une personne est illégalement retenue au sein d’une maison ou d’un hôpital, les proches pourront alors prévenir les forces de police, afin que des agents de police se déplacent pour mettre un terme à la séquestration. À défaut de réaction pour libérer la personne concernée, les agents de police pourront être sanctionnés pénalement pour non-assistance à personne séquestrée.

 

[1] Cour de cassation, chambre criminelle, 13 décembre 2017, arrêt Mercier
 
[2] Cour de cassation, chambre criminelle, 27 avril 1815, Bull. crim. n° 28.
 
[3] Rapport d'information de l’Assemblée nationale n°1287, audition de Robert Badinter du 16 septembre 2008
 
[4] Article 115 du code pénal suisse
 
[5] Article 113-6 du code pénal (compétence personnelle active)
 
[6] Article 113-7 du code pénal (compétence personnelle passive)
 
[7] Article 224-1 et suivants du code pénal pour le personnel médico-social du secteur privé - Article 432-4 du code pénal pour le personnel médico-social du secteur public
 
[8] Cour de cassation, chambre criminelle, 12 mars 1959, n° 91-70.458
 
[9] Article 121-7 du code pénal
 
[10] Article L.1110-4 du code de la santé publique ; Article L.312-1 I du code de l'action sociale et des familles
 
[11] Article 226-13 du code pénal
 
[12] Article 5-1-f, article 9 et article 32 du Règlement général sur la protection des données
 
[13] Voir à ce sujet la fiche de la Cnil sur les données de santé : https://www.cnil.fr/fr/quest-ce-ce-quune-donnee-de-sante
 
[14] Article 82 du Règlement général sur la protection des données
 
[15] Article 226-22 du code pénal
 
[16] Article 432-4 du code pénal
 
[17] Article 432-5 du code pénal
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La liberté de déplacement en vue d’un suicide assisté en Suisse