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TRIBUNE - COVID-19 : la crise sanitaire souligne les carences de la loi sur la fin de vie... - Le Monde

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Communiqué
22 juin 2020
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Publiée le 20 juin 2020 dans le Journal Le Monde

Il est encore trop tôt pour tirer les leçons de la très récente crise sanitaire au regard de la loi française sur la fin de vie, la loi du 2 février 2016 dite Claeys-Leonetti, qui permet, dans les tout derniers jours de la vie, de bénéficier d’une « sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie, afin d’éviter toute souffrance et de ne pas subir d’obstination déraisonnable ». En revanche, il est acquis que les auteurs de la loi, ses inspirateurs et ses thuriféraires, ne pourront faire l’économie d’un tel examen puisque cette crise a provoqué, en France, la mort de près de 30 000 personnes, dans des conditions souvent très difficiles, de l’aveu même des soignants, dont beaucoup ressortent choqués par ce qu’ils ont vécu durant cette période et à qui nous devons rendre hommage.

De très nombreux adhérents de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité, souvent les plus âgés, ont fait part durant cette période de leurs inquiétudes – nombreuses – auprès de notre service d’écoute, ADMD-Ecoute. Certains souhaitaient avoir la possibilité, s’ils devaient être frappés par le virus, de ne pas être réanimés et de terminer paisiblement leur vie, plutôt que de connaître la détresse respiratoire et d’être intubés et, s’ils devaient s’en sortir, de conserver des séquelles pulmonaires qui les rendraient fortement diminués. D’autres craignaient que la pénurie de midazolam puis de clonazépam – puissants produits sédatifs – s’ils devaient être jugés irrécupérables ou si les capacités hospitalières ne leur permettaient pas d’être pris en charge, ne les conduisent vers une lente et douloureuse agonie.

Ces demandes furent si nombreuses et si désespérées que les juristes et les médecins de l’ADMD durent proposer la rédaction de directives anticipées spéciales COVID-19 et que l’ADMD dut rappeler à de nombreuses reprises, y compris publiquement, la loi actuelle et, en particulier, le droit au refus de tout traitement1, le droit au soulagement de la douleur2, le droit à la sédation3, le droit à la prise en compte des directives anticipées4 et le droit de se faire représenter par une personne de confiance5. De manière individuelle et solidaire, l’ADMD a aussi accompagné les situations les plus délicates…

Bien sûr, la situation fut exceptionnelle et personne n’était véritablement préparé à affronter une telle pandémie, inédite et difficilement prévisible dans son ampleur.

Cette crise a révélé plusieurs faiblesses relatives à la prise en charge attentive de la fin de la vie, dans notre pays. Cela ne fut pas une surprise car l’ADMD dénonce depuis de nombreuses années les manques de notre législation ; la fin de vie n’a jamais été une priorité de nos gouvernements…

Les Françaises et les Français sont mal préparés à ce qui est pourtant la seule certitude de notre vie, c’est-à-dire la mort. Le sujet reste tabou chez nos décideurs.

Les soignants, qu’ils soient médecins ou infirmiers, ne sont pas suffisamment formés à l’accompagnement vers la mort qui reste, pour eux, comme un échec professionnel lorsqu’elle n’est pourtant qu’une évidence logique de la vie. Dans le cursus universitaire de ces professions, la fin de vie, les soins palliatifs, la mort, sont peu abordés. Et l’euthanasie, légale dans de nombreux pays du monde, est censurée autant que l’ignore la loi française.

Les directives anticipées sont mal connues des Français car les gouvernements successifs n’ont pas souhaité, depuis 15 ans qu’elles existent, en faire la promotion et enjoindre les médecins traitants de les faire rédiger par leurs patients (à ce jour, seule l’ADMD possède un fichier national de directives anticipées, ouvert à tous, qui permet de sécuriser ce document et de le mettre à la disposition des soignants et des personnes de confiance). Selon une enquête de 2018, seulement 11% des personnes de plus de 50 ans les auraient rédigées ; et seulement 2,5% des personnes décédées les avaient faites (chiffre de l’Institut national des études démographiques – Ined). Peu de nos compatriotes ont désigné leurs personnes de confiance, ce qui est pourtant possible depuis près de 20 ans, et beaucoup confondent cette notion avec celle de personnes à prévenir en cas d’urgence.

La sédation profonde et continue est trop souvent – à tort – assimilée à de l’euthanasie active, pour le plus grand profit des associations anti-choix qui militent, encore, contre l’IVG et contre l’aide active à mourir, alors que les produits utilisés, les protocoles, les conditions d’accès ne sont évidemment pas les mêmes. Et de peur d’être accusés d’avoir pratiqué une euthanasie clandestine – qui existe pourtant en nombre dans notre pays, toujours selon l’Ined – beaucoup de médecins refusent d’appliquer la loi actuelle et laissent leurs patients agoniser, dans des souffrances physiques et psychiques intolérables.

La liste est longue des carences de notre loi sur la fin de vie, qui oublie de mettre le patient au centre des décisions le concernant. Il est pourtant une chose, indiscutable : la loi 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie est totalement insatisfaisante car elle ne répond ni aux attentes des Français, ni aux besoins des soignants. Les soins palliatifs qui y sont évoqués – et dont l’accès à tous ceux qui en ont besoin est indispensable dans le cadre d’une loi équilibrée sur la fin de vie – sont très largement sous-dimensionnés, avec des inégalités injustes et inacceptables entre les régions. Et malgré les différentes interpellations de l’ADMD aux ministres de la santé qui se sont succédés, il n’existe plus de plan de développement des soins palliatifs dans notre pays depuis le 1er janvier 2018.

La crise sanitaire de ce printemps a démontré que, loin d’apaiser les inquiétudes des Français, la loi Claeys-Leonetti renforce leurs angoisses à l’approche d’une mort, inévitable, dont ils pressentent avec lucidité qu’elle ne sera ni douce ni maîtrisée, et qu’elle les fera souffrir et, plus encore, qu’elle fera souffrir leurs proches, impuissants à les accompagner sur un chemin que tous, à notre tour, nous emprunterons.

Il est temps, en France, de véritablement se doter d’une loi sur la fin de vie, équilibrée et respectueuse de tous, qui permette en conscience à chacun, comme aux Pays-Bas, en Belgique, en Suisse, au Luxembourg, au Portugal, bientôt en Espagne – la liste des pays qui bénéficient d’une loi d’ultime liberté s’allonge – de décider des conditions de sa propre mort…

1 : articles L. 1110-5, L. 1110-5-1 et L. 1111-4 du code de la santé publique
2 : articles L. 1110-5 et L. 1110-5-3 du code de la santé publique
3 : articles L. 1110-5-2 et L. 1110-5-3 du code de la santé publique
4 : article L. 1111-11 du code de la santé publique
5 : articles L. 1111-6 et L. 1111-12 du code de la santé publique