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COVID-19 : la « crise sanitaire » à l’aune des droits humains

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Communiqué
27 avril 2020
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Chacun comprendra la difficulté de trouver le juste équilibre entre « l’état d’urgence sanitaire » (instauré par une loi du 23 mars 2020 dans une telle précipitation que le décret d’application daté lui aussi du 23 mars est intervenu avant même la publication de la loi et son entrée en vigueur le 24 mars !) et les droits fondamentaux garantis non seulement par notre Constitution mais par les traités internationaux ratifiés par la France dont la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales à laquelle il convient de se référer pour tenter de clarifier le débat.

Dans un premier temps, le président de la République, esquissant sa stratégie de déconfinement, avait suggéré un déconfinement à deux vitesses en quelque sorte puisque les « personnes âgées » (quel âge ?) devraient rester confinées « plus longtemps » (jusqu’à quand ?). Bien-sûr de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer une telle mesure à la fois inégalitaire, arbitraire et discriminante.

Au final, le Gouvernement a reculé et transformé une mesure tout d’abord annoncée comme contraignante en simple « recommandation ».

Cette annonce immédiatement suivie de son retrait démontre de façon éclatante combien tout état d’urgence, même apparemment justifié par des motifs légitimes, peut engendrer de graves abus.

Nous souhaitons proposer ici quelques pistes de réflexion et outils pour affronter les mois à venir et, si nécessaire, faire acte de résistance.

Parmi les droits fondamentaux dont jouissent les citoyens dans une société démocratique, figurent notamment :
    •    La dignité (droit de disposer de son corps, etc.),
    •    Le droit à la vie privée et à l'intimité,
    •    Le droit et la liberté d'aller et venir,
    •    Le droit de ne pas être discriminé.

Nous constatons que la loi instaurant l’urgence sanitaire a limité drastiquement, sinon supprimé, ces droits humains au nom d’un impératif sanitaire présenté comme nécessaire.

Ces principes (édictés notamment par les articles 5, 8 et 14 de la Convention européenne des Droits de l’Homme) peuvent en effet être temporairement suspendus lorsqu’un « danger public menace la vie de la nation » si, et seulement si, l’ingérence de l’Etat est justifiée par un « besoin social impérieux » se rapportant à un ou plusieurs buts légitimes. Il faudra alors se demander si, tenant compte de toutes les circonstances de l’urgence aujourd’hui invoquée, cette ingérence était nécessaire, dans une société́ démocratique. Légitimité, nécessité et proportionnalité, telles sont les règles qui doivent présider aux restrictions imposées. La difficulté est donc de préserver un juste équilibre entre les droits et les exceptions.

Dans la situation que nous vivons actuellement, nous apercevons d’emblée les écueils de cet exercice périlleux.

Critiquer aujourd’hui, le confinement massif de la population imposé à partir du 17 mars 2020 (stratégie qui ne recueille pourtant pas l’unanimité) serait inopérant. En effet, cette contrainte a permis à nos personnels soignants, très éprouvés et sans moyens, de faire face à l’épidémie dans des conditions sinon acceptables du moins supportables, compte tenu de l’état déliquescent de notre système de santé. Et ce sont eux, eux tous et eux seuls, qui, malgré ce contexte carencé, ont contribué à sauver de nombreuses vies.
Il devra tout de même être constaté que la gestion de la pénurie a conditionné en grande partie les choix politiques allégués.

Cela étant, si les droits garantis par nos textes nationaux et internationaux tels que la liberté, la vie privée et familiale, la non-discrimination, peuvent en effet être temporairement suspendus en raison d’un état d’urgence, ici sanitaire, il n’en va pas de même d’un certain nombre d’autres droits intangibles qu’aucun état d’urgence d’aucune sorte ne peut abolir. Il en est ainsi du droit à ne pas être soumis à la torture et à des peines ou traitements inhumains et dégradants (article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme) qui ne souffre aucune dérogation (article 15 § 2 du même texte).

A ce titre, confiner les « personnes âgées » pour un temps indéfini au prétexte de leur vulnérabilité deviendrait un « traitement inhumain et dégradant » tel que prohibé de façon absolue, et on peut se réjouir que ce projet délétère ait été abandonné.

Mais la situation de confinement dans les Ehpad, où des résidents sont parfois enfermés dans leur chambre 24 heures sur 24, où les visites familiales sont prohibées et où les contacts humains sont réduits à peau de chagrin, ne doit-elle pas être également considérée comme un « traitement inhumain et dégradant » interdit à ce seul titre ?

Là encore, le Gouvernement, face aux protestations, a dû assouplir ces mesures inhumaines en autorisant sous certaines conditions les visites familiales.

Mais il serait souhaitable que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités plus clairement afin de ne pas laisser les résidents et leurs familles à la merci de l’arbitraire de la direction de tel ou tel établissement.

De même, est-il acceptable d’empêcher les familles et les proches d’accompagner leurs morts ?

Il est donc essentiel de rappeler que le caractère intangible du droit à ne pas subir un traitement inhumain et dégradant est absolu, qu’il ne saurait souffrir aucune restriction et qu’il peut être invoqué à tout moment et en toute circonstance.

L’urgence sanitaire ne saurait conduire aux excès d’un principe de précaution mortifère beaucoup plus meurtrier que le danger qu’il prétend combattre.
A l’instar de l’acharnement thérapeutique, nos gouvernants devront se garder de tout acharnement sanitaire.

Irène Terrel
Avocate

 

Relire le Décryptage intitulé Pouvoir rendre visite aux personnes en fin de vie résidant en établissement