Une dernière visite à ma mère - Marie-Sabine Roger
Une dernière visite qui nous entraine dans cette intimité de ces derniers instants que l'on voudrait si importants entre un enfant et sa mère « placée » tel un objet.
Témoin de la grande vieillesse, de la démence, des troubles cognitifs de plus en plus fréquents, l'autrice nous entraine dans le sillon de ce temps qui se dérobe tel un château de sable.
« A me soucier de toi, je retrouve du même coup de lambeaux de mon enfance »
Le temps manque mais suffit à marquer ces instants à jamais : nous y voyons notre propre mort : « Ma mort, je la vivrai par anticipation
Je me prépare au grand froid de l'hiver, à ton départ, car il viendra. Nous en sommes déjà aux premières gelées. »
Le temps manque pour évoquer leur histoire, les manques, les absences, les non-dits : « Tout ce qui me manquera de toi me manque depuis si longtemps déjà. »
« Je ressens l'urgence à t'aimer ; plus le temps défile et plus il s'amenuise, moins je me risque à te parler. »
Les liens physiques ont manqué mais le temps ne suffit plus : « L'âge venant-le tien-, il m'est arrivé de te tendre un bras secourable, de te donner la main pour franchir une marche, et j'avais l'impression de commettre un sacrilège. On ne touche pas aux idoles. »
Le temps n'est plus aux liens mère / fille, tant pour l'autrice que pour le personnel de l'institution : « Laisser le temps à la prévenance, et la place à la dignité, cela suppose des moyens, et surtout des gens disponibles. Tu étais une sauvageonne, secrète, discrète, réservée. Te voici brutalement confrontée à la vie en communauté, une communauté qui n'a rien en commun. Les infirmières me disent « il faut qu'elle se socialise ». A quatre-vingt-treize ans. »
L'autrice va devoir composer avec cette vie décomposée, transportée hors du temps parmi des visiteurs eux-mêmes « vieux enfants de très vieilles personnes »
« Plus le temps va, plus il va vite. Parfois une trouée. Une courte éclaircie. Puis plus rien. Comment aurais-je pu lutter contre ces morts qui t'appelaient si fort, que tu voulais rejoindre ? Comment aurais-je pu lutter contre la pesanteur de ce temps inutile, qui te semblait si long ?»
Une dernière visite à ma mère qui aura sans doute manquée à l'autrice mais qu'il ne faut pas manquer de lire tant ce court récit, chargé de poésie, nous transporte et nous semble universel.
FB
Publié en février 2021 - 18€00
Editions Iconoclaste