Pour Sophie et tous les autres - Mark-Lee Hunter, Angèle Delbecq et Jean-Louis Touraine
Mark Lee Hunter est un journaliste passionné qui a vécu un amour tendre et partagé avec Sophie, jusqu’à la fin. Son livre nous bouscule lorsque nous découvrons sa femme atteinte d’une sclérose latérale amyotrophique (SLA, ou maladie de Charcot), « la pire des maladies » pour certains. Cet ouvrage raconte en creux sa traversée de la souffrance avec un recul lucide sur cette expérience ultime. Il nous éclaire sur son cheminement, sur cette problématique d’une fin de vie dans la dignité. En ouverture, nous découvrons son quotidien à partir du diagnostic posé, glaçant, irréversible. Il sait dire les douleurs subies sur le temps long quand la maladie s’empare du corps, quand il est le proche toujours présent, jour après nuit pour soulager la lente agonie. Il sait taire sa propre vie, sa santé : l’aidant s’oublie devant l’ampleur de la tâche. Il ne fera pas l’impasse sur ses regrets, alors que Sophie faisait le vœu de quitter la vie avec son aide, il avait refusé, était-ce vraiment un manque de volonté ? Dans toute cette complexité, Mark restera dans nos mémoires le héros d’un temps où le « mal mourir » est une réalité en France et où, oui « les survivants comptent aussi ». La suite de la lecture enchaîne sur ses questionnements et sur les arguments divers des opposants et « s’ils avaient raison ? ».
La seconde partie, abordée par Angèle Delbecq, elle-même journaliste d’investigation, développe justement ce « cœur de l’opposition » influent et les collusions avec des forces issues de plusieurs réseaux, fondations ou associations français, ainsi que des conservateurs américains « pro life ». Elle souligne également quelques « lobbys » religieux qui imposent une logique réactionnaire. Sur ce sujet de l’euthanasie nous découvrons une droite dure et catholique, ouvertement contre, face à une certaine « gauche semblant abandonner le terrain aux ennemis de ses valeurs ». Elle a également suivi et commenté toutes les étapes de la Convention citoyenne sur la fin de vie.
Dans la troisième partie, le Pr Jean-Louis Touraine, « cette source experte », député honoraire, professeur de médecine, écrivain, membre du comité d’honneur de l’ADMD, pose un éclairage indispensable, sensible et maîtrisé sur la loi actuelle sur la fin de vie « en perpétuelle gestation ». Par ailleurs, en 2017, il déposait une 1ère version d’une proposition de loi sur ce thème. Dans ce livre, il développe avec pédagogie un historique resserré sur l’aide active à mourir en France et à l’étranger en nous faisant partager son expertise politique et médicale. A une époque, par exemple, certains médecins s’arrogeaient un pouvoir décisionnaire sur les patients avec la mise en œuvre d’une euthanasie non réclamée. En 2012 : « entre 1200 et 2400 euthanasies clandestines » sont évoquées. On retrouve les mêmes alliances mobilisées contre le droit de mourir et contre l’avortement en son temps. Ce chapitre met également en évidence l’opposition entre soins palliatifs et aide active à mourir alors qu’une complémentarité serait à trouver avec un « droit nouveau » défini par ce « soin ultime ». Malgré les « ratés », malgré « les réformes incomplètes » Jean-Louis Touraine nous laisse espérer l’obtention d’un texte plus que nécessaire qui répondra enfin à toutes nos attentes (96 % des Français en 2019). Le Gouvernement serait sur le point de présenter un projet de loi……
Après cette lecture, nous abordons notre finitude avec ce souhait : qu’elle ne soit pas la « chronique d’un supplice annoncé » et que plus jamais des Français ne soient obligés de partir en Suisse ou en Belgique afin d’obtenir une mort « digne ».
En conclusion : Sophie, architecte de talent, a été cette femme souffrante, agonisante, ce qui ne la désignait pas dans son humanité. Elle a été profondément aimée : nous ne l’oublierons pas. Ce livre nous offre une belle rencontre par-delà la maladie et la mort.
NC
Publié en octobre 2023
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