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Personnes âgées dépendantes et Coronavirus – Les vrais secrets de l’éthique médicale - Claude Rougeron

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Communiqué
7 novembre 2022
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L'auteur, médecin, docteur ès sciences en éthique médicale, a pratiqué en médecine générale, et plus récemment lors de la crise COVID, à l’hôpital et comme médecin coordonnateur en EHPAD ; de cette position privilégiée, il analyse la manière dont les personnes âgées ont été prises en charge.
Cette épidémie n’a fait que mettre en exergue tous les problèmes du système de santé (hôpitaux en grande difficulté, urgences saturées, déserts médicaux, EHPAD en sous-effectif chronique).

Première violence pour le résident, le placement (rarement volontaire), mais les équipes essaient d'y rendre la vie plus agréable, animations, rencontres entre résidents, musique... Arrive la COVID et les injonctions sanitaires : « sauver des vies » ; du jour au lendemain, plus de visites (famille, amis, bénévoles, animations), plus de contact entre résidents. C'est une véritable incarcération, comme le disent plusieurs résidentes. On supprime les bisous, le toucher si important pour des personnes privées de la vue ou de mobilité, on coupe toute communication directe, on parle à travers un masque, un plexi, habillé en cosmonaute ! Inaudible ! Le monde s'écroule…

Les directions sont tétanisées, la relation entre les médecins et les malades est plus que biaisée, quand elle existe encore, car nombre de médecins ne viennent plus visiter les malades, les ordonnances sont prolongées à distance. Aides-soignants et ASH s'approchent des malades, mais sans toucher le patient. Outre que c'est compliqué, c'est une frustration totale pour la personne qui a ses petites habitudes pour la toilette ou le déjeuner. Certains soignants s'interrogent : « que devient ma mission de soignant ? Comment devenir principalement accompagnant ? ».

L'auteur insiste avec grande humanité sur la vulnérabilité, la fragilité des personnes en EHPAD. Leur dépendance qui provoque une infantilisation : de la peur, de la répulsion, le soignant aussi peut être fragile dans ces circonstances et, là particulièrement, certains ont été très fragilisés, ont même démissionné.

La relation entre les soignants et les malades a démontré son inégalité dans la vaccination : vaccin imposé aux résidents (fragiles, avec comorbidités) alors que les aides-soignants, parfois, la refusaient ...Comment les malades ont-ils pu entendre cette distorsion ? Eux-mêmes étaient donc des cobayes ?

Dans les Groupes de réflexion éthique régionaux, des soignants de toutes disciplines mettent en commun leurs observations et pratiques, supports intéressants des interrogations des équipes, dans le cas où elles y participent ; le plus souvent, les réunions sont supprimées (alors que c'était tellement nécessaire).

Dans les EHPAD aussi, les réunions d'équipe sont réduites : manque de temps, personnel malade… Les soignants qui restent s'en plaignent, les résidents encore plus.

L'avis de 1986 du Comité consultatif national d’éthique (https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/2021-02/avis008.pdf) requiert de « respecter la personne humaine aussi bien chez autrui que pour elle-même c'est la traiter toujours comme une fin et jamais simplement comme un moyen [...] ». Le médecin devrait toujours avoir ce principe comme boussole.

Point n'est besoin d'insister, pendant la crise COVID – plus d'un an – on a oublié la personne humaine dans sa globalité. Après juin 2020, on connaissait mieux les modes de transmission de la maladie, beaucoup d'EHPAD ont néanmoins continué à interdire totalement les visites, bloquer les résidents (vaccinés) dans leurs chambres, n'accepter que la famille proche, exclure les amis et bénévoles habitués à visiter les résidents. La liberté individuelle s'est trouvée en balance défavorable face à « l'intérêt général ». Conséquence : désocialisation des résidents (les personnes à domicile continuaient à recevoir des visites), approfondissement de la solitude, glissements multipliés, anorexies, les psychologues appelés tentaient de rafistoler (mettre à jour les directives anticipées !) ... Coiffeurs, pédicures, et autres paramédicaux eux aussi interdits de visite.
De fait, l'EHPAD, défini comme un lieu de vie, est devenu un lieu de contrainte sanitaire, tout en n'étant absolument pas équipé techniquement et en personnel qualifié.

Les fins de vie ont été plus que mal accompagnées, pendant les agonies elles-mêmes, mais ensuite aussi parce qu'il fallait faire disparaître les corps à toute vitesse, sans les soins post mortem minimaux, on a supprimé tous les accompagnements, tous les rites habituels… Le mot aux autres résidents, la présence de la famille au moins quelques heures auprès du décédé… tout est bazardé sur l'autel de la contagion à éviter à tout prix.
Bien sûr c'était la crise, totalement inattendue, pas de cours sur la gestion de crise, l'auteur note que dans certains établissements il y a eu des « transgressions », des « aménagements » qui ont permis de ne pas appliquer dans toute leur rigueur les circulaires ministérielles et les interdictions centralistes et technocratiques…

Ce livre est empreint d'humanité, on ressent une grande proximité de ce médecin avec ses patients, une forte adhésion aux principes de la « démocratie sanitaire » qui devrait considérer le malade comme un citoyen responsable. Espérons que ces réflexions éthiques trouvent un écho pour éviter les erreurs des années 2020-2021.
CB

Publié en août 2022
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