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Mourir de son vivant : accompagner jusqu'au bout de la vie - Dominique Sanlaville

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Communiqué
2 octobre 2020
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Cet ouvrage est constitué de huit récits de vie, de fin de vie et de mort. Evidemment nourris, habités de l'expérience de l'auteur, infirmier psychiatrique en institution et en hôpital.

Ce n'est pas un livre drôle, car tous ces récits sont assez terrifiants, mais pourtant on le lit jusqu'au bout tant les récits sont empreints d'une grande humanité, d'une écoute empathique que l'on souhaiterait à chacun de trouver auprès des personnels soignants et notamment de leur médecin.

Je vous laisserai donc découvrir chaque acteur de ce kaléidoscope de vies si différentes : un médecin qui fut longtemps chef de service respecté – et autoritaire – en hôpital psychiatrique, jusqu'au jour où lui-même se retrouve de l'autre côté, comme patient ; une jeune fille anorexique successivement soignée en HP puis envoyée en gastroentérologie pour une alimentation forcée torturante et qui, finalement, se suicidera ; cet homme qui, après de longues années comme ouvrier très qualifié, se retrouve à son compte à refaire des clés, réparer des téléphones et, très vite dépassé par la technologie, va craquer ! Et aussi « James le passeur », qui a suivi les cours d'un séminaire catholique, devient prêtre et fut incapable de supporter la chasteté imposée par sa religion. L'auteur ne méconnaît pas non plus les conduites suicidaires, celle de l'anorexique d'une certaine façon, celle d'un homme pour qui trouver des guides de suicide vont décontenancer les médecins jusqu'au jour où il réussira dans son dernier projet.

Dans chaque chapitre, une conclusion prend du recul et travaille les concepts clés que l'auteur a souhaité mettre en avant. Vous pouvez le lire comme un ensemble de nouvelles, toutes passionnantes de vérité, mais aussi réfléchir aux concepts médicaux qui ont sous-tendu les traitements imposés, parfois soumis, aux malades ; des expériences quelques fois assez terrifiantes (cure de Sakel, expériences de mort éminente…).De son expérience, l'auteur sait combien la relation entre le patient et le soignant est fondamentale, et comment il y a parfois une sorte de jeu ; moins avec le médecin, trop distant, trop rapide dans ses visites, mais avec les infirmiers attachés, proches, avec lesquels on se permet parfois des traits d'humour. « Il ne faudra pas m'en vouloir, mais je vais bientôt mourir ! » Ou « Docteur, n'oubliez pas le cachet… » du patient qui demande à en finir plus vite.

Le chapitre consacré à la maladie d'Alzheimer est particulièrement important, décrivant avec force détails ce cheminement inexorable vers une insupportable dépendance. Quelle attitude du médecin devant une malade qui aurait besoin de changer la pile de son pacemaker ? Alors qu'elle a plus de 90 ans, malade grave, dans une certaine démence, inconsciente de son environnement. L'utilisation massive de médicaments qui ne soignent pas mais calment, évitent que telle ou telle dame traverse la rue, enjambe une barrière, se jette de la terrasse sans le vouloir…

Il y a aussi cette maltraitance institutionnelle : lors d'un placement en Ehpad, rarement consenti par la personne elle-même, mais le plus souvent imposé par l'impossibilité de conserver une personne à domicile, elle se retrouve dans une chambre anonyme, sans avoir pu emporter plus de deux petites valises, et aucun objet familier. Et cette injonction du directeur, à ses proches : « Ne venez pas pendant un mois, il faut qu'elle s'habitue… » est horrible. Immédiatement, ce mois sans visite, dans une sorte de chambre d'hôtel anonymisée, fait des ravages psychologiques irréversibles. Ce que décrit l'auteur, c'est, dans beaucoup de cas, un glissement vers la mort, discret, car « il avait cessé de devenir ». Et il va chercher une corde dans le grenier, ou arrête de manger !

Plusieurs pages sont consacrées au suicide, ou aux tentatives, toujours des appels au secours, souvent ratées, mais que veulent-elles dire ? Les évitera -t-on uniquement en forçant les doses de Valium ou autre anxiolytique ?

L'approche de la mort fait peur, angoisse presque plus les médecins que le malade ; notons que le médecin de ville se « débarrasse » très vite des grands malades ; appel à l'hôpital et pfuitt ! Je n'y avais jamais pensé, mais l'auteur remarque que, lors des enterrements, jamais un médecin ne se déplace, parfois quelques infirmiers ou aides-soignants ! Dans l'hôpital ou en Ehpad, le mort est au plus vite caché, sorti immédiatement de la chambre, descendu – le plus souvent – au sous-sol au bout d'un long couloir mal éclairé. Il faut effacer son souvenir pour le cacher aux autres résidents de l'étage et éloigner cette prétendue forme d’échec médical (qui n’est que l’issue certaine et inévitable de la vie). On n'évoquera plus jamais le mort.

Pourquoi cette apparence de froideur ? Non qu’un médecin soit insensible, mais il se barricade dans sa certitude du savoir soigner, savoir ce qui est bon pour son patient, connaître les protocoles, ou dans son refus de se laisser entamer par la mort qui rôde trop souvent. On l'a vu pendant les mois de confinement lié à la COVID-19, les médecins ne savaient rien mais disaient tout ... et n'importe quoi ! Mais ont-ils demandé au malade leurs souhaits ? L'auteur note aussi combien les directives anticipées ne sont pratiquement jamais demandées, et pas du tout recommandées dans le monde médical.

Ce qui pose la question de dire la vérité au malade. Le médecin cache l'extrême gravité à la personne concernée, car selon lui, il ne veut pas savoir. Seul son frère a été informé de la gravité des multiples attaques qui frappent cet homme qui avait toujours été actif, en grande forme. Sa compagne a, elle aussi, des stratégies d'évitement. Le malade ne voulait-il vraiment pas savoir, comment a-t-on écouté ses demandes ? Ou était-ce plus simple pour le médecin de ne pas le lui dire, car cela eût supposé d'y passer du temps, de l'accompagner, de le dire avec attention et empathie.

Dans plusieurs récits apparaît ce manque cruel. « Les médecins n'ont jamais pris le temps d'écouter Antoine, ... et que dire du psychologue qui limitait son rôle à la seule acceptation de la chimiothérapie ? » [page 159]

Incontournable, est évoquée l'aide active à mourir : « Aider quelqu'un à mourir s'apparente, dans certains cas, à un geste d'amour » [page 164] Mais, interdites en France, il y a des euthanasies cachées, en toute hypocrisie.

J'ai beaucoup aimé cette phrase de la part d'un mourant : « Je vais te faire un cadeau, je te donne mon envie de vivre » [page 175] Et aussi celle de François Mitterrand parlant d'un ami décédé : « Enfin, il sait… »

Les dernières pages, en guise de conclusion, parlent de la non-formation des médecins dans leur cursus, sauf spécialisation ; l'enseignement des soins palliatifs reste optionnel. Alors comment peuvent-ils répondre à une demande d'euthanasie ou décider de l'arrêt des traitements, ce qui est légal ? Pour les infirmières, pas de module spécifique non plus sur l'accompagnement de la fin de vie : des stages de terrain, parfois, vont compenser cette criante absence, sachant que tous les infirmiers hospitaliers, un jour, se trouveront confrontés à des agonies.

Le changement de loi en France, quand il adviendra, devra s'intéresser en tout premier à la formation des médecins et infirmiers à l'accompagnement de fin de vie.

Quelques remarques sont faites sur l'apparition fulgurante de la COVID-19 qui a laissé les hospitaliers dans la plus grande angoisse et impréparation ; le secteur psychiatrique est encore plus délaissé depuis des décennies par les politiques publiques successives.

Un livre passionnant, écrit par un professionnel engagé que l'on aimerait avoir auprès de soi !

CB

Editions Chronique Sociale - 192 pages - 14 euros 50