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L'affaire Vincent Lambert Enquête sur une tragédie familiale - Ixchel Delaporte

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Communiqué
11 mars 2020
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L'affaire Vincent Lambert aura duré quelque onze années, entre le moment où, grave accidenté de la route en 2008, il est emmené en urgence dans un état gravissime (décrit comme tel par les secouristes) et la mort finalement déclarée dans un hôpital rémois en 2019. Il y sera resté confiné (et presque emprisonné) pendant plus de 8 ans.

Cette longue agonie a défrayé la chronique médicale et judiciaire depuis 2012, moment où la presse s'est emparée de l'affaire, suite à des révélations savamment orchestrées par les parents de Vincent, par l'intermédiaire de liens confirmés avec des sites et journaux ultra conservateurs, tel Présent, qui ont vu dans cette maladie une occasion de lancer une offensive pour "le respect du droit à la vie".

L'auteure, journaliste, s'est passionnée pour cette tragédie familiale, et la raconte de façon très détaillée dans cet ouvrage.

Longue descente dans les complexités des familles Lambert et Philippon, plusieurs fois recomposées, où la mère de Vincent, anciennement femme de ménage, épouse le médecin gynécologue chez qui elle travaille. Plusieurs enfants de part et d'autre, des enfants déboussolés, malmenés par ces changements de résidence, de type de vie, et Vincent, ultra-sensible, qui se voit interdire de rencontrer Jackie, son père "de coeur", à partir de ses 6 ans (au moment du remariage de sa mère). Il est placé en internat très loin de sa fratrie et subit des abus sexuels dans des institutions catholiques intégristes où ses parents le placent pendant les vacances.

L'auteur nous détaille l'arbre généalogique depuis le grand père anarchiste, les liens intrafamiliaux complexes, ce qui peut être un peu dérangeant au départ, car nous pensons toujours à cet infirmier psychiatrique qui n'avait rien demandé et s'est trouvé ainsi exposé sous le feu des projecteurs et de l'emballement médiatique ; et pas seulement lui, toute sa famille fut interrogée, suivie, presque espionnée.

Peu à peu, on comprend cette envie de nous expliquer les tenants et aboutissants familiaux de ce drame car, si drame hors normes il y a eu (outre la mort d'un tout jeune marié de 32 ans), c'est parce que la famille s'est véritablement déchirée devant les caméras sur la question de l'arrêt des traitements que les médecins rémois avaient décidé après de longues études du cas médical, consultations dans d'autres hôpitaux (y compris en Belgique où une euthanasie est proposée et refusée par son épouse).

Les épisodes de cet acharnement judiciaire sont développés en détail : décision des médecins suite à une procédure collégiale en bonne et due forme (Loi Leonetti), mise en cause devant un tribunal pour obtenir la reprise des traitements contre l'avis médical.

Et c'est reparti, les médecins se voient obligés de reprendre la procédure à zéro, re-analyses, re-procédure... et à nouveau recours devant une cour de justice, la Cour européenne de justice, une commission de l'ONU. Cette bagarre judiciaire a été menée, avec le soutien d'institutions catholiques très extrémistes (ils feront appel au pape, au cardinal Barbarin). Le combat médiatique sera aidé (ou piloté ?) par des structures d'obédience catholique intégriste (Fraternité de Saint Pie X, monastère du Barroux, Fondation Lejeune) qui vont payer les frais de procédure pour les parents Lambert, et y joignent d'autres causes "refus du droit à la vie" ; chantre des anti-avortement, refus du mariage des personnes de même sexe.

La famille est totalement cassée, entre les parents et un demi-frère “pro-vie” qui diligentent des enquêtes, vont jusqu'à prendre et faire diffuser des vidéos de Vincent sur son lit ; de l'autre côté, Rachel l'épouse discrète qui a la tutelle de son mari, des demi-frères et un neveu, futur avocat, qui se servira aussi des médias et débusquera toutes les possibilités d'ester en justice contre les recours opposés systématiquement aux décisions des collèges de médecins.

Dans les dernières pages, l’auteure s'intéresse plus précisément aux conceptions de la fin de vie, l'euthanasie, avec un intéressant entretien avec le professeur Damas (Liège), qui évoque notamment sa rencontre avec Jacques Pohier (décédé en 2007, ancien président de l’ADMD de 1992 à 1994, frère dominicain) qui a fortement influencé sa manière de considérer la question. Mais je vous invite particulièrement à lire les extraits qu'elle livre à notre réflexion dans le dernier chapitre (p. 192-193) :

  • l'un de son père, enseignant de philosophie à Amiens « Pourquoi le palliatif ne serait -il pas la contrepartie positive de l'échec du curatif ? Et pourquoi par la suite, l'euthanasie ne serait-elle pas la contrepartie positive de l'échec du palliatif ? » ;
  • l'autre de Canguilhem qu'il faut lire en entier, page 193. « Le droit du mourant à la qualité de ses derniers moments se fonde sur le devoir du médecin de comprendre la mort, de savoir communiquer avec le mourant, d'en interpréter parfois l'expression symbolique, et se rendre présente et familière l'idée de sa propre mort ».

Relisez (ou découvrez d'urgence) le livre de François Damas cité dans ce livre, intitulé La mort choisie : Comprendre l'euthanasie et ses enjeux. C'est tout ce qu'il explique quand il dit comment l'euthanasie décidée ensemble est le résultat d'une longue écoute du patient, de la relation de confiance tissée entre médecin et malade.

Dans cette dramatique "affaire" Lambert, le patient a été instrumentalisé au service d'intérêts extérieurs et jamais écouté.

CB

Editions du Rouergue, 2020 – 208 pages – 18,50 euros