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Pour le droit à l'euthanasie. La fin de vie de ma mère : un cauchemar fatal...

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Communiqué
26 octobre 2017
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Madame,

C’est avec beaucoup de gêne que je vous écris, car j’ai peur qu’à me lire je vous fasse souffrir un peu plus, ne me lisez pas, si vous ne le sentez pas, car c’est un récit de vécu douloureux.

J’ai entrevu votre combat et veux vous témoigner avec force mon soutien dans votre démarche finale de partir digne et pour vos proches d’être fiers d’avoir eu une Maman ou une épouse lucide qui leur évitera le mur de la souffrance non maitrisée.

Je suis Philippe Thouart, ma Maman est partie il y a 4 ans.

Son combat tout d’abord contre un cancer des voies rectales fut gagné, une tumeur effrayante disparue suite à son traitement.

Lorsque l’on gagne ce genre de combat, un immense élan vous fait voir la vie de façon positive et vous pousse à aller de l’avant, mais malheureusement l’avant s’est vite transformé en un cauchemar fatal.

En effet, rapidement après sa victoire, ses mots commencèrent à se bousculer, nous avions du mal à la comprendre, nos recherches portèrent sur le dentier qui peut-être lui donnait des soucis de prononciation, puis sur un éventuel problème cardiaque, mais très vite le diagnostique de Syndrome Latéral Amyotrophique fut fait, les motoneurones commençaient à ne plus fonctionner pour sa bouche.

Les difficultés à manger, fausses route, je mixais tout ses repas pour éviter ces dernières, je faisais des plats où il y avait des sucs pour qu’à défaut de la texture ferme, elle ait au moins la saveur qui ressorte, peine perdue la bouche devenait trop faible pour remplir son rôle et il fallut se résoudre à  passer par une nourriture (que dis-je, une survie cruelle) par sonde (de gastrotomie ), un tuyau relié à une sonde, des poches d’où le liquide de cette survie s’écoulait lentement, 8 à 10 heures durant (débit pas trop rapide pour éviter les nausées), dans son estomac.

Plusieurs fois le pansement qui maintenait la sonde au ventre n’avait pas tenu et le liquide se répandait sur le sol et son fauteuil, nettoyer ce liquide était pénible. 

Nous la levions, ma fille, mon beau père et moi pour la faire marcher tant qu’elle le pouvait et lui faire sa toilette, j’avais pris un siège sur lequel est s’asseyait et qui pivotait vers la baignoire.

Quelle drôle de sensation pour un fils de voir sa mère devenir en quelque sorte son enfant, à la nuance près qu’un enfant va vers la vie.

Seuls moments apaisants où les bras agrippés à mon cou, elle traversait le couloir pour aller prendre l’air sur le balcon et observer son jardin et les poules de notre poulailler.

L’infirmière qui venait nous apprendre la manipulation des divers appareils et faire la toilette et soins divers à ma Maman était une dame que je garderai très longtemps dans mon cœur car son calme et son savoir faire nous apportaient quelques répits dans l’insupportable.

J’avais acheté un fauteuil médicalisé complètement articulé pour ne plus qu’elle ait la sensation d’étouffement dans la position allongée d’un lit classique et ensuite les coussins spéciaux pour éviter les escarres qui venaient malgré tout.

Sa parole s’évanouit peu à peu, sa main vint coucher sur une ardoise des mots de souffrance et de doute , puis sur du papier orange où ses interrogations de plus en plus angoissées s’alignaient, jusqu’à ce que son écriture devienne presqu’illisible.

L’hyper salivation était là (malgré un médicament), j’aspirais (avec un appareil destiné aux dentistes) tant bien que mal, autour de sa langue désormais morte, la salive épaisse et mal odorante qui stagnait entre les interstices de sa bouche, en faisant attention de ne pas aller trop loin pour ne pas déclencher de vomissement, que dire de son regard quand elle entendait le bruit des vibrations du moteur et de l’aspiration de l’appareil ?

Dans le milieu médical, on alla jusqu’à lui proposer l’ablation des glandes salivaires (neurectomie) et de lui montrer, pour l’encourager à tenter l’opération, sur un écran d’ordinateur une pauvre personne à qui on avait mis un masque de protection qui prenait pratiquement tout le visage en position complètement allongée pour l’intervention, alors qu’ils savaient que ma pauvre mère, sa hantise, était l’étouffement en position allongée ! Une honte ! J’ai regardé le spécialiste dans les yeux, mes larmes lui montraient sa stupidité malgré tout le respect que je lui devais.

J’ai encore des sueurs froides suite à ce rendez-vous complètement surréaliste où le corps médical propose une solution qui débouche sur la génération d’une frayeur pour le malade et celui qui l’assiste.

Un protocole avait été mis en place, et là aussi malgré le bien fondé de la démarche (et l’humanité de l’infirmière qui nous suivait),et bien celle-ci est discutable, car faire venir en ambulance une personne diminuée à ce point (pour les bilans où nous passions une journée interminable à faire le point devant 10 spécialistes), qui de surcroit était en panique car maman croyait qu’elle allait rester à l’hôpital pour la fin, je ne la laissais jamais une minute, quand on déplaçait son brancard et que l’on m’interdisait de rester à côté d’elle, je désobéissais systématiquement pour faire comprendre à celle qui m’avait si bien porté dans ma vie que jamais je ne l’abandonnerai et qu’elle reviendrait systématiquement chez elle, ce qui fût fait !

Mais voilà cela faisait partie de sa survie et moi son fils, sa petite fille qu'elle adorait (ses derniers sourires étaient pour elle), sa belle fille, son conjoint nous participions à cette cause perdue d’avance.

Alors Madame, et mille pardons de vous avoir suggérer de lire mon intime douloureux, mais ne permettez pas au mal de vous enfermer jusqu’à la souffrance où vous ne soyez plus maitre de votre dignité, ne permettez pas que vos proches aient des souvenirs difficiles à supporter.

Vous qui aimez tant la vie et tous ses sens, rendez lui hommage en partant dans la décision consentie, ne croyez qu’en vous, aucune religion, aucun concept autre que votre ressentiment intime et du respect que vous devez à votre propre corps de ne pas le laisser envahir par l’effrayante souffrance, et le doute ultime de progressivement perdre la main.

La force inouïe de l’amour et du respect de vos proches vous y aidera et réciproquement.

Ceux qui resteront, véhiculeront ce courage que vous aurez eu et encourageront d’autres souffrants à prendre une décision qui comme vous les honorera en espérant que les membres du gouvernement tendront à changer d’avis et de permettre la dignité avant le passage.

Bien que je ne vous connaisse pas, j’ai entendu vos propos, parcouru les belles choses par vous entreprises et bien observé votre regard, j’ai de la peine à vous imaginer partir de chez vous, c’est cruel et injuste.

Sachez que dans votre voyage des centaines de personnes secrètement dans leur tête vous tiendront la main pour vous aider à franchir l’obstacle, pensez-y.

La chanson ‘Pour une fois’ de Jacques Higelin m’a vraiment bouleversé, mais à un point, je l’avais mise à ma Maman pour son départ et à son enterrement je voulais qu’autour de nous tout le monde parle pour faire un pied de nez au fait qu’elle n’avait plus pu s’exprimer.

Partez Madame avec toute l’admiration que vous susciterez de votre décision qui est un cri qui pourra en aider d’autres, je suis certain que la vie de votre âme future n’en sera que plus noble.

Philippe Thouart