Tout d’abord, faisons le constat qu’aucun pays au monde, lorsqu’il a ouvert le chantier de la fin de vie, ne s’est inspiré de la loi Leonetti, celle de 2016. Citons pêle-mêle les travaux des parlements en Espagne (2021), en Irlande (2020), en Autriche (2021), au Portugal (2021 et 2022), en Australie (les 6 Etats australiens, entre 2017 et 2021), au Chili (2020), en Colombie (2021), aux Etats-Unis (6 Etats, entre 2016 et 2021, sur les 11 qui ont déjà légalisé l’aide active à mourir), en Nouvelle-Zélande (2021) et en Uruguay (2022). Ces pays se sont engagés à chaque fois dans la voie de l’euthanasie, dans celle du suicide assisté, voire des deux.
La France reste seule à ne proposer à des patients en fin de vie qu’une sédation profonde et continue avec altération de la conscience maintenue jusqu’au décès. La seule.
Nous pouvons aussi faire le constat complémentaire que la presse se fait souvent l’écho de Français qui font le voyage en Belgique, en Suisse ou au Luxembourg pour bénéficier d’une aide active à mourir. Nous avons même des accords transfrontaliers (les fameuses Zoast) qui permettent à des Français de bénéficier légalement, et au même titre que les Belges et les Luxembourgeois, de cette aide active à mourir. En revanche, aucun Belge, Suisse, Luxembourgeois, Néerlandais… n’a jamais traversé la frontière au prétexte de bénéficier de la loi Leonetti sur la fin de vie. Jamais. Pas un.
Pourquoi donc, cette loi est-elle mauvaise (en dehors du fait qu’elle refuse de reconnaître le droit, légitime, à une personne en fin de vie de bénéficier d’un geste compassionnel actif dans le respect de sa propre volonté) ?
D’abord, parce qu’elle exclut toutes les personnes atteintes de maladies neurodégénératives. Les malades de Charcot, de Parkinson ou d’Alzheimer, par exemple, lorsqu’ils sont en phase avancée de la maladie, que les souffrances sont déjà là mais qu’ils ne sont pas encore à l’article de la mort, ne sont pas pris en charge par la loi de 2016. Un malade atteint de Charcot, par exemple, devra attendre d’étouffer, que ses muscles de la respiration soient atteints et que l’asphyxie menace, pour bénéficier de la loi actuelle. Cette sédation n’est en effet proposée qu’aux seules personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme, c’est-à-dire, selon la Haute Autorité de Santé (HAS), « si le décès est proche, attendu dans les quelques heures ou quelques jours. »1 Autant dire que le patient est déjà entré dans la phase agonique et que de mourant, il devient moribond. Beaucoup trop tard !
Ensuite, parce que lorsqu’une personne en fin de vie est sédatée (c’est-à-dire placée dans un coma profond duquel on ne se réveille pas), elle est aussi totalement dénutrie, partiellement déshydratée, dans l’attente que le corps lâche. La mort n’intervient alors pas du fait de la maladie elle-même, et cette mort ne saurait être qualifiée de mort naturelle puisqu’il y a intervention de la médecine et que les produits sédatifs injectés n’ont rien de naturels. La mort intervient en fait des suites de ce (très) mauvais traitement que prévoit la loi : soit d’une insuffisance rénale sévère (le plus souvent), soit d’une décompensation cardiaque.
Egalement, parce qu’il n’y a aucune certitude que la personne ainsi sédatée ne souffre pas. Le professeur Régis Aubry lui-même, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), n’indique-t-il pas que, « en l’état actuel de la science, au-delà de plusieurs jours de sédation profonde et continue, le patient peut présenter, du fait de la tachyphylaxie du médicament indiqué et prescrit à cette fin, des signes de réveil associés à une dégradation de son état physique. La situation du patient continue de se dégrader sans que le décès survienne dans un délai raisonnable. »2 ?
Enfin, parce que la loi Leonetti de 2016 a cela d’horrible, c’est que si elle ne s’adresse qu’aux mourants dès lors que le décès est attendu dans les prochaines heures, elle prolonge ensuite la vie de la personne sédatée au-delà d’un « délai raisonnable » puisque, selon la HAS elle-même, le décès « survient dans un délai qui ne peut pas être prévu. »1
On comprend mieux alors pourquoi la loi Leonetti de 2016 n’a été copiée dans aucun pays au monde et pourquoi les médecins refusent de l’appliquer et sont de plus en plus nombreux à se déclarer en faveur d’une application éthique d’une aide active à mourir.
La loi Leonetti de 2016 est une impasse de laquelle il est urgent de sortir.
Philippe Lohéac
Délégué général
La question demande un débat apaisé.