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Fin de vie. "Mon ami, tu as connu l’enfer..."

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Communiqué
27 juin 2017
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Mon ami. Le jour où tu m’as dit que, bizarrement, depuis quelque temps tu as des problèmes d’élocution et que tes mots ne franchissent plus la barrière de tes lèvres avec la même fluidité, je suis prompt à en trouver la cause. C’est la faute au lithium ! Je t’affirme sans rien y connaître du tout. Il faut certainement rééquilibrer ton dosage. Demande à ton médecin, tout va rentrer dans l’ordre. Tu as hoché la tête et souri de ton regard bienveillant. Le problème était réglé. Car tu as toujours fait confiance à mon optimisme tenace auquel tu t’accrochais comme à une bouée jetée dans les flots rageurs de ta bipolarité. Mon ami, si beau, si fragile, si doux.

Aujourd’hui je pleure ta mort. Car le médecin n’a rien équilibré du tout. Il t’a simplement asséné - pour ton plus grand effroi, que tu avais une maladie incurable, ayant pour seule issue, celle de mourir étouffé. Puis, visant le minimum syndical d’empathie, il t’a laissé seul face à ta terreur. Tu as encaissé le choc. Par quelle aberration ton corps avait-il pu se soumettre à cette dictature délétère ? Cela restera un mystère. Éternel. Comme ton repos actuel. Fébrilement tu as lu, parcouru horrifié, tous les articles citant cette maladie hideuse. Puis, convaincu de l’inexorable horreur de ce cul-de-sac, et de son effroyable parcours, tu as songé mettre fin à tes jours. Mais, hélas – oui hélas – tu n’as pu aller au bout de ta décision, c’est qu’il en faut du courage pour mettre un terme à sa vie. Alors tu t’es résigné, et, empli d’un espoir salutaire, tu t’es fait minuscule pour te recroqueviller sous l’aile protectrice de tes enfants. Tout a été vite. Placé dans une institution pour personnes âgées, toi qui étais encore si jeune, ce fut le début d’une effroyable fin. Muet d’horreur face à cet emprisonnement soudain dont tu ne ressortirais jamais, tu allais vivre neuf mois d’un abominable calvaire. Tes yeux bleus étaient emplis de larmes chaque fois que je venais te voir et une plainte animale s’échappait de tout ton être dès que tu me voyais partir. Tu souffrais de solitude et de l’incompréhension de cet emprisonnement et je voyais derrière ton regard éteint, l’absolue détresse qui t’habitait. Tu as tout perdu. La parole, ta fantaisie, ta tête, tes kilos, ton intégrité, ta liberté, tes proches, ta dignité.

Seul restait chevillé à ton pauvre corps devenu frêle, un mince filet de vie auquel tu t’accrochais avec une puissance qui forçait l’admiration. Parfois tu hurlais de désespoir, parfois tu étais muet de douleur. Je me suis perdu mille fois dans les méandres de ta désolation, cherchant auprès de ton entourage, un apaisement à tes souffrances. En vain. J’ai honte de mon ignorance. J’aurais dû aborder ta maladie avec plus d’aplomb et de connaissances. J’aurais dû m’informer. J’aurais dû m’imposer. J’aurais dû t’emmener voir d’autres horizons, te sortir de ton confinement. Crier que tu vivais l’horreur et qu’il fallait te soulager. Et quand au bout de neuf mois de gestation effroyable, ton corps a déclaré forfait, j’ai assisté à l’épouvante.

La France, foyer culturel, son siècle des Lumières, son rayonnement sur l’Europe, ses vins, sa gastronomie. La France où il fait bon vivre. Mais pas mourir. Mon ami, comment exprimer tous ces tourments que tu as endurés. Quand je suis arrivé à ton chevet après une absence à l’étranger de deux semaines, tu étais devenu méconnaissable, déporté vers la mort. Tu m’as souris puis tu t’es mis à pleurer sans bruit, épuisé. Je garderai gravées en moi les images de ta souffrance absolue. Celle que je veux dénoncer. Ton regard affolé où se lisait l’incrédulité de ce que l’on osait encore te faire subir. Ta maigreur concentrationnaire, ton visage recousu et tuméfié, tes poumons encombrés, ta respiration anarchique. Et ta bouche, gouffre ouvert sur l’horreur. Tu agonisais dans une indifférence feutrée. Personne n’avait pitié. Ni eau. Ni nourriture. Ni médicaments pour te soulager. Tu souffrais à en mourir et tu allais en crever. J’ai couru clamer ma colère, j’ai demandé que l’on te fasse des soins, qu’il y avait urgence. Que tu allais mourir de faim et de soif. Mourir de faim et de soif !

Alors, j’accuse notre système de barbarie et d’incompétence, incapable de prodiguer en ces moments fragiles et sacrés où l’âme et le corps auront à se séparer, souvent dans la douleur et la peur. J’accuse notre système d’inhumanité. Je clame mon indignation, je m’élève contre ces procédés arriérés qui font fi de toute bonté et pour qui la délivrance ne peut passer que par la souffrance. Mon ami, tu as connu l’enfer. Je te souhaite au paradis.

Hélène Vatus